CARACREMADA: LE DERNIER GUÉRILLERO CATALAN

[Resistance Espagne] Extraits du Livre de Thierry Guilabert (Libertaires 2013)

CARACREMADA: VIE ET LEGENDES DU DERNIER GUERILLERO CATALAN

caracremadaExtrait: « Dans ces années là, l’Espagne ouvrière se passionne pour ses champions de boxe. Et toi, Ramon, tu pratiques le noble art en amateur. Car ici en Catalogne, en France, aux Etats Unis, chez les pauvres, les rejetés et les parias naissent les meilleurs. L’envie d’en découdre, l’habitude du combat, le désir de s’extraire de sa condition. La lutte des classes devient la lutte des poings. »

Extrait: « Au gouvernement, on veut faire preuve de la même rigueur militaire que le camp d’en face. Assez de discussions à ne plus finir pour savoir si oui ou non on va monter au front. Assez d’assemblées interminables qui paralysent les mouvements de troupes. a leur place: des chefs et des sous-chefs, des ordres, et des pelotons d’exécution pour les mutins. Les communistes, avec l’aide de leurs conseillers soviétiques, savent quant à eux ce qu’est une armée disciplinée et organisées, la discipline, ils la pratiquent depuis toujours. La Colonne de Fer est la dernière à résister au diktat gouvernemental, refusant tout compromis, au point que la CNT elle-même va recruter une nouvelle brigade et couper tout soutien aux anarchistes « incontrôlés ». »

caracremada02Extrait: « Tu rejoins le maquis du Limousin sous le nom de Ramon Pons Llaugi. Les portes sont ouvertes pour des hommes qui ont déjà longuement combattu le fascisme, des hommes qui connaissent le maniement des armes, celui des explosifs, et qui surtout veulent oublier le goût amer de la défaite. Tu intègres les Francs-Tireurs et Partisans qui tiennent la forêt de Rochechouart et sont commandés par le colonel Bernard Le Lay, un ancien typographe du journal L’Humanité. C’est un énorme maquis, près de deux mille cinq cents hommes répartis en douze compagnies et quatre bataillons. Il est essentiellement composé par des gars du pays, mais les républicains espagnols y sont nombreux. »

Extrait: « C’est pour toi le début d’une longue série d’actions commanditées par la CNT en exil. Des missions de groupe, puisque dans ces années entre 1946 et 1950, ton travail de passeur t’amène à côtoyer tous les grands noms de la résistance anti-franquiste catalane: Facerias, Quico Sabaté, Massana pour ne citer que les plus connus. Chaque guérillero a ses spécialités, ses habitudes, certains n’hésitent pas à arpenter les rues des grandes villes espagnoles. Toi, Ramon, tu préfères les espaces ouverts, les montagnes, les vallées, les cols que tu connais parfaitement depuis ton enfance. »

Extrait: « Tout début janvier 1950, tu détruis deux pylônes électriques à Sant Vicenç de Castellet, et on t’attribue nombre de sabotages dans la région, jusqu’à la voie de chemin de fer entre Barcelone et Manresa. Tu fais plusieurs mois de prison en France, après la découverte d’armes au Mas Tartas. Tu finis par trouver refuge à Perpignan, trop loin de tes montagnes, dans une ville où tu manques d’air et d’espace. Tout est devenu compliqué, les flics sont sur les dents des deux côtés de la frontière. La guérilla est sur les genoux. Trop de morts dans ses rangs, trop de civils tués ou blessés lors de ses actions. Le doute est dans toutes les têtes. »

Extrait: « Ils ne veulent plus de toi de tes sabotages, de tes combats d’arrière garde avec le risque que des innocents en pâtissent pour t’avoir aidé sous la contrainte ou pas. Ils ont abandonné cette forme de lutte. Plusieurs fois, ils t’ont envoyé Massana pour te convaincre de faire comme lui, de te retirer dans une ville de Catalogne française et de vivre une existence paisible. Tu as cinquante ans, l’âge de la retraite est venu pour le coureur des bois. Tu peux encore éviter le pire, ne pas finir comme Facerias. (…) Mais toi, fier Don Quichotte, tu refuses d’entendre, tu as ton idéal, noble jusqu’au bout. Tu finiras comme les autres, seulement tu veux être le dernier. Plusieurs fois tu rejettes les médiateurs que la CNT t’envoie, jusqu’à ce jour de 1959 où c’est Massana lui-même qui te rencontre quelque part au nord de Prades. »

caracremada03Extrait: « Ramon, quelle est cette folie qui te pousse à croire qu’en dynamitant quelques poteaux électriques, quelques lignes haute-tension, c’est tout le régime qui va s’écrouler. Sans doute, il faut avoir eu cette illusion pour continuer la lutte quand tous les autres sont morts ou rangés, exilés en France ou en Amérique, se rassemblant comme d’anciens combattants, protestant par journaux interposés contre Franco qui s’en moque, puisque le tourisme est florissant. »

CARACREMADA: VIE ET LEGENDES DU DERNIER GUERILLERO CATALAN – Thierry Guilabert – Editions Libertaires 2013 – 122 p. (Voir sur le site de La Petroleuse)