[Article] L’ART D’ERIC STANTON: FEMDOM, FETISH, BONDAGE

Eric Stanton fut incontestablement l’un des maitres du graphisme BDSM des années 50 et 60 (et au delà). Il ne fut ni le premier, ni le dernier illustrateur à s’essayer au genre (Bill Ward aura droit à son petit article bientôt) mais il fut surement un pionnier dans l’art du Femdom en dessinant spécifiquement des histoire fetish & bondage avec des femmes (ultra) dominatrices. Dans ce contexte, toutes les figures du fétichismes y passèrent: bondage, lingerie, instruments de torture, transgenre, fessée, humiliation, soumission, domination, straddling… j’en passe et des plus bizarres. A la vue des oeuvres réalisées par Stanton durant 50 ans, le wrestling (autrement dit la lutte au sol, le catch quoi) fut son fantasme number one.

Eric, né à New York en 1926, est élevé au sein de la communauté russe de Brooklyn. Il ne pipera pas un mot d’anglais jusqu’à sa rentrée en primaire à six ans. C’est un gamin plutôt chétife (qui a dit fetish ?) qui trouve très tôt intérêt à dessiner des filles sexy en recopiant ses bandes dessinées. Il ne cessera de griffonner tout le long de sa scolarité.  A 17 ans il rejoint la navy comme radio opérateur sur un torpilleur. Démobilisé en 1946, il travaille avec son beau père (un russe blanc farci de pruneaux rouges, à la fois cuisinier et artiste) avec lequel il apprend à danser à la manière russe et à lancer des couteaux avec la bouche. Mais sa véritable ambition c’est le dessin, et ses premières armes, il les fait comme assistant de Boody Rogers (un dessinateur renommé des années 30-40). C’est à 22 ans qu’il va faire la rencontre décisive d’Irving Klaw, le roi de la photographie de bondage et du business érotique. C’est après avoir lu une bd appelée « Poor Pamela » dans une publication d’Irving Klaw commandée par correspondance, que le jeune Eric Stanton lui envoie une bafouille. Il fanfaronne qu’il pourrait sans grande difficulté faire mieux que son dessinateur pour rendre ses lutteuses un peu plus sexy. Klaw l’encourage à s’y coller pour lui montrer ce qu’il vaut. Stanton passe l’épreuve haut la main et commence à réaliser pour Klaw des planches de fighting girls, des scènes où des filles se crêpent le chignon d’après des illustrations de catch. Il quitte un Boody Rogers sur le déclin pour se consacrer à plein temps aux demandes d’Irving Klaw qui le pousse rapidement à passer au dessin de bondage, le dada du taulier. Stanton s’exécute enthousiaste, inspiré par le travail de John Willie (qu’il trouve cependant trop statique) et par l’inépuisable documentation photographique de Klaw en la matière. Il assiste souvent aux séances de photos SM organisées par Klaw. Sa rencontre avec la « star » du studio, Bettie Page (dont il tomba amoureux secrètement) laissera des traces dans ses travaux…

L’univers fétichiste de Stanton est un monde uniquement féminin. Lorsqu’ils ont droit de cité, les hommes n’y ont qu’un rôle mineur ou l’unique droit d’être martyrisé, battu, violenté par la gente féminine. Les hommes y sont toujours représentés faibles et dominés dans un monde où les stéréotypes de genres sont complètement inversés, ce qui est plutôt révolutionnaire dans une Amérique des fifties mortifiée dans la tradition, la religion et le patriarcat.

En 1954, encouragé par Klaw, le dessinateur autodidacte rentre sur les bancs de la Cartoonists and Illustrators School (futur School of Visual Art) qui vient d’ouvrir à Mannathan. Auprès de profs comme Jerry Robinson (le créateur de Batman) il y apprend quelques techniques graphiques complémentaires et progresse en matière de mouvement, de dynamisme ou de composition. Mais surtout il y rencontre Steve Ditko et Gene Bilbrew (alias Eneg). Le premier deviendra le co-créateur de Spiderman en 1962 avec Stan Lee chez Marvel, le second deviendra comme lui un illustrateur fétichiste qui connaitra, aussi de longues périodes de vaches maigres (il finira d’ailleurs pauvre, alcoolo et drogué). Stanton est obligé de multiplier les boulots alimentaires durant cette période, jusqu’à ce qu’il se brise le dos au service des pièces détachées de la PanAm, devenant en partie invalide et accroc aux antidouleurs. Bref sa situation économique n’est pas au top dans ce milieu des années 50, d’autant qu’il s’est marié entre temps et a eu deux fils. « Ma femme était catholique, n’aimait pas les choses que je faisais et pensait que quelque chose n’allait pas chez moi ». Il divorce en 1958 et sa femme prend tout, les gosses, la voiture, les meubles et le reste. Il ne tente pas sa chance devant le juge, certain d’être considéré par la société puritaine de l’époque comme un dégénéré. Sans le sou, il se retrouve à vivre dans un hôtel minable ressemblant plus à un centre d’hébergement d’urgence qu’à autre chose. La même année, bien que restant en bon terme, il met un terme à sa collaboration avec Klaw, trouvant que celui ci l’exploitait sans vergogne depuis des années, lui payant au lance pierre ses oeuvres originales qu’il revendait après les avoir publiées.

Il va continuer à travailler (sous différents pseudo) pour d’autres éditeurs / libraires / pornographes avec des réussites diverses. Il collabore entre autre avec son ami Gene Bilbrew à une nouvelle revue fétichiste appelée « Exotique » sous titrée « a new publication of the bizarre and unusual ». Elle ne fut pas le premier magazine fétichiste mais prit un bel essor sous l’influence de son créateur Leonard Burtman (un ancien scientifique nucléaire) et de son égérie Tania Louise, LA modèle fétiche de l’époque. Poursuivi pour obscénité, Burtman créa d’autres magazines du genre dans lesquels Stanton continua de se faire exploiter. Il travaille également durant cette période pour Eddie Mishkin, Stanley Malcom et Max Stone pour lesquels il continue de produire à la demande et à la chaine, illustrations, planches de bd et couvertures de pulp fiction.

A partir de 1958 et pour une dizaine d’année, Stanton et Ditko partagent un studio de travail. Bien que travaillant sur des projets très différents, les deux amis s’influencent largement, Ditko apportant même son savoir faire d’encreur sur certaines illustrations de Stanton trop impatient pour le faire lui-même. Quant au personnage de Peter Parker (Spiderman au civil) certains y verront un double de Stanton (un inadapté social, solitaire binoclard, malchanceux en amour et de constitution physique faible).

En 1966, en ayant assez de travailler pour d’autres qui depuis des années exploitent son travail, Stanton se lance dans l’auto-édition et l’auto-distribution grâce à la mailing liste de Satellite Publications que Stanley Malcom lui a gracieusement cédé en se retirant des affaires. Il crée « Stantoons » et devient free lance, travaillant directement pour des commanditaires qui lui demandent de mettre en dessin leurs fantasmes personnels. Ces travaux atterrissent dans son « Stanton Archive Catalogue » et sont imprimés à la demande. Eric Stanton eu aussi une activité de photographe et cinéaste fétichiste, (plus par amusement que par profit) mettant entre autre sa nouvelle femme (de 20 ans sa cadette) dans des scènes de lutte où elle excellait. Il eu deux enfants avec elle.

Sa série Stantoon Comics continuera de paraitre jusqu’à sa mort en 1999. Y seront créés entre autres sa superhéroïne Blunder Broad, une superhéroïne ressemblant à une Wonder Woman super nulle qui échoue invariablement dans ses missions et se fait violentée par ses ennemies comme la super vilaine Leopard Lady. Eric Stanton meurt en 1999.

Pour en savoir plus, lire l’histoire d’Eric Stanton par le photographe Eric Kroll dans « The Art of Eric Stanton – For the man who knows his place » (Taschen) dont est (en partie) tiré cet article.