LA BANDE A BONNOT

[Anarchie] Extraits du roman de Benoit Ladarre (Monde Libertaire 2008)

MEMOIRES IMAGINAIRES DE GARNIER DE LA BANDE A BONNOT

http://www.la-petroleuse.com/romans/1070-la-bande-a-bonnot.html

la_bande_a_bonnotExtrait (p.8): « C’était un soir de décembre à Montmartre, il faisait un frichbi à se geler les roustons. On avait tenu comité chez Dieudonné, un de nos amis communs. Oui, c’est là bas que tout à commencé. Il m’avait bouché l’oeil en moins de deux, le bougre. Sûr que c’était pas en raison de sa stature de petit mec râblé, mais ses lucarnes enfoncées profondément dans les orbites qui te calibraient, ça foutait la pétoche comme s’il te pointait le canon d’un révolver sur le citron. Sans compter que sa réputation l’avait précédé. C’était avant les évènemets. Jules Bonnot venait de débarquer à Pantruche et il avait tout de suite trouvé sa place dans le cercle des copains, les gars de Romainville, le patelin où siège L’Anarchie, le canard qui nous servait aussi de point de ralliement. »

Extrait (p.24): « Filer, fuir, cavaler, on n’a plus que ça en tête. Une semaine qu’on a commis l’attaque de la rue Ordener et déjà la fuite éperdue, et la fatigue qui se lit sur nos bobines et nos yeux plombés de cernes. Je suis complètement vanné! Il y a un mois, personne ne connaissait notre existence. J’en viens presque à regretter. Mais à zyeuter Bonnot qui affiche son sourire, je me requinque. J’admire ce grand mec qui nous a insufflé la dose de courage nécessaire pour franchir l’ultime étape et passer de l’illégalisme à la petite semaine aux choses sérieuses. « Les bandits tragiques » ! C’est comme ça que les canards nous désignent désormais ! Ils bâtissent notre légende, et de mon côté, je rectifie les mensonges. Oui. Je continue à griffonner nos mémoires en prévision de ma mort prochaine. Mais la Veuve patientera encore quelques jours ! »

Extrait (p.30): « Ils ont coffré Kibaltchiche et sa femme après une perquise. Il y a de plus en plus de bourriques à L’Anarchie et qui traînassent autour de nous. J’avais laissé au Russe un paquet en garde, et les flics ont découvert deux revolvers en le déballant. Le genre de cadeau empoisonné, mais je ne pouvais pas prévoir. Ils prennent le Russe pour le cerveau de la bande. Alors qu’à part jaspiner sur le nudisme, les techniques érotiques et sa diététique à base de banane, l’aliment unique qui peut, d’après lui, résoudre les problèmes de la classe ouvrière, ça va pas chercher loin. Kibaltchiche fait dans les bons sentiments, quand c’est la force et la raison qui mènent le monde. Mais bon, il reste que le Russe y est pour que dalle dans nos activités. »

Extrait (p.33): « Il semblerait qu’on n’a pas trouvé Dieudonné, parce qu’il se méfiait d’une entourloupe des roussins. Et il avait vu juste. Mais ils ont réussi à l’arrêter un peu plus tard, au moment même où je dégelais mon dernier flic. Ils l’attendaient en bas de chez lui. Et il avait gardé un flingue dans sa poche, ce qui n’arrange rien. Ils se rapprochent, ils marquent des points, les flicards. L’employé de la rue Ordener l’a reconnu. Quel imbécile ! Alors que Dieudonné n’était même pas avec nous le jour du braquage ! Il est tellement choqué et pétri de haine qu’il serait prêt à lyncher n’importe quel mecton ! Pourtant, Dieudonné se trouvait à Nancy le 21 décembre, à trois cent cinquante kilomètres de l’action. Comme il y était l’après midi et qu’il y a un train qui fait le trajet en quatre heures, son alibi n’a pas tenu. J’ai du écrire au chef de la Sûreté: « Vous êtes des incapables ! Dieudonné est innocent du crime, c’est moi qui l’ais commis ! Et vous le savez bien ! J’ai songé un moment à venir me constituer prisonnier. Mais j’ai réfléchi. Je préfère garder ma liberté jusqu’au moment où vous viendrez la prendre. Je finirais par tomber entre vos mains, mais soyez certains que je défendrai ma peau jusqu’au bout ! » « 

Extrait (p.45): « Avec Valet, cachés sous nos viscopes, on évolue parmi la foule qui s’est réunie autour du garage tout en restant hors de portée de tirs. De Thiais à Alfortville, et de toute la banlieue, des masses de spectateurs fébriles ont débarqué à Choisy pour assister à la fin d’un homme. Trente mille personnes, traversées par la même effervescence, s’égayant au spectacle de cette mise à mort extravagante. Comme s’ils étaient au théâtre, les salauds. Jules Bonnot, le chef de la bande avec laquelle on a terrorisé la France entière durant plusieurs mois, vit ses dernières heures de criminel. Et la populace laissera bientôt éclater sa joie à la vue de sa dépouille sanguinolente. La foule vile, la foule immonde. Elle ne nous pardonne pas de nous être révoltés contre sa médiocrité. D’avoir pris les armes pour nous enrichir sur le dos du bourgeois. D’avoir volé, triché, tué pour des bleuets au lieu de suer sang et eau comme un brave travailleur pour gagner quelques miettes de larton. Pourquoi ne nous sommes nous pas contentés de leur sort misérable ? Elle ne pige pas la foule. Par l’exécution de Bonnot, elle se venge du mépris qu’on lui voue profondément. Elle ne nous pardonne pas, ce mépris qu’elle nourrit pour elle-même en secret. Elle pense que notre mort la rachètera ou lui dissimulera à nouveau son abjecte condition. Par ce rassemblement joyeux, la foule affirme sa solidarité de troupeau. Trente mille pleutres fêtent leur appartenance à un monde d’esclaves satisfaits. »