CLOVIS TROUILLE FOUT LA PÉTOCHE AU BON DIEU

[TrashPopCulture] Article de MatVonPetrolo sur Clovis Trouille (Cheribibi n°7 2011)

Cet article de Mat Von Petrolo est originellement paru en décembre 2011 dans le n°7 du fanzine Cheribibi sous le titre Clovis Trouille Fout la Pétoche au Bon Dieu !

Pondre un article sur Clovis Trouille ? Bonjour la flippe ! C’est facile ok, n’empêche que je me demande bien d’où sortait cette idée. Sûrement qu’elle avait germé un soir d’hiver dans un resto à Poitiers où on cassait la graine avec l’dirlo du Cheribibi de passage en ville. Et puis qu’à causer romans noirs, ciné bis et punk exotique, le nom de Clovis Trouille s’était subrepticement glissé dans la conversation entre deux chopines de pif. Flairant mon intérêt pour le peintre anti-conformiste, Bibi Daniel m’avait illico proposé de pondre une bafouille pour son canard Chéri. Les neurones en folies, mezig disait banco, sans se sourciller de son inexpérience de chroniqueur d’art, fut t-il de comptoir. Pas évident de parler d’art sans tomber dans un verbiage niaiseux ni de peindre le portrait d’un gus dont on admire le boulot, sans tomber dans un baratin biographique à la con. Du coup, les vapeurs d’alcool retombées, il m’avait fallu de nombreux mois pour me mettre enfin au turbin et bien que j’avais pas bezef d’infos à me mettre sous la dent il était temps de se lancer avant qu’on fête les 40 ans du Cheribibi…alors en route mauvaise troupe !

Clovis Trouille (1889-1975) est l’un des plus fameux peintre français du 20e siècle. Oui oui carrément – et ce n’est qu’injustice qu’il soit ainsi enfermé à double tour dans les oubliettes de l’histoire de l’art. Une injustice ? Dépend pour qui. La bourgeoisie n’a jamais tellement aimé qu’on lui chie dans les bottes. Et le camarluche Trouille a su s’y prendre pour faire la nique à la « bonne morale » de la classe dominante en menant sa guerre contre le sabre et le goupillon et plus largement contre les adeptes de l’ordre et du pognon. Ce n’est donc que justice (de classe) que Trouille ne fasse pas parti des manuels d’histoire de l’art. Ce n’est donc aussi que justice (populaire) que le Chéribibi y consacre un petit fafiot.

J’ai croisé pour la première fois les peintures de Clovis Trouille dans un bouquin, au détour d’un rayon de bibliothèque du daron, qui aimait aussi jouer du pinceau à ses heures perdues. J’étais tout gosse mais je me suis tout de suite entiché de ces repros : un érotisme irrésistible, des aplats vifs, des traits précis et un fond bien anar que je ne calculais pas alors comme tel mais dont je pressentais déjà l’aspect subversif. En grandissant et en le redécouvrant bien des années plus tard, mon goût pour ses toiles ne s’était pas démenti et en grattant un peu plus loin pour découvrir de plus près le personnage, le père Clovis avait tout pour me plaire…

Avec sa volonté farouche d’indépendance et de liberté exercée tout au long de sa vie face aux marchands et critiques d’art qu’il méprisait, on comprend aussi mieux pourquoi cet artiste iconoclaste n’a pas connu la renommée qu’il méritait auprès d’un plus large public. Mais plus que son dédain pour les magouilles de ce milieu et l’arrivisme complaisant de certains artistes, ce « peintre du dimanche » comme il se désignait lui-même, n’a surtout jamais voulu transformer son art en gagne-pain, pour éviter toute compromission : « J’ai pour principe qu’il faut gagner de l’argent pour pouvoir vivre et peindre, mais qu’un tableau peint en vue de la vente est foutu d’avance. » « Impossible d’être indépendant si l’on veut vivre de son art, car le métier qui vous fait vivre étant fastidieux par lui-même, l’art que l’on ferait ainsi par métier le serait de même. »

Non seulement il avait un mal fou à se séparer de ses toiles, mais son désir de perfection l’entraînait souvent à les retravailler, les transformant à l’occasion 10 ou 20 piges après le coup de pinceau « final ». Ce qui pour un marchand d’art avide de productivité régulière n’est pas un atout pour faire sonner le tiroir caisse. Lorsqu’un ami l’expose et tente de vendre quelques unes de ses toiles sans grand succès il répond : « Quant à moi cette mévente me ravit. L’échec commercial étant pour moi, spirituellement, un succès, et la vente, un triste signe de conformisme bourgeois, ayant toujours considéré ma peinture comme anarchisante, démodée et anticommerciale. » Les choses sont claires et il gardera le cap de ses idées arrêtées sur le milieu de l’art contre vents et marées jusqu’à la tombe.

 Le camarade Clovis Trouille naît en 1889 dans l’Aisne. Après cinq ans à l’école des beaux arts d’Amiens où il développe avec brio sa technique et son goût pour la peinture classique, le jeune picard devient peintre illustrateur publicitaire puis « maquilleur » dans une fabrique de mannequins de cire. Il y restera 40 piges, non sans un certain plaisir, pour assurer son indépendance financière de peintre « amateur ». Comme ses deux potes, Dali et Picabia, Trouille reste techniquement fidèle aux canons de l’art classique mais use également de photographies (qu’il coupe, bricole, coupe, superpose, décalque, repeint, détourne) et avec lesquelles il compose ses toiles, revendiquant la copie comme technique de création. Mais ce qui avant tout éveillent les mirettes en zieutant un Clovis Trouille, ce sont les couleurs. Il faut tout d’abord être « rétinien » pour apprécier une de ses toiles. Pour celui qui comme moi aime d’abord ressentir des choses devant une peinture, être ému, avoir une sensation charnelle avant que le carafon ne prenne le relais, les toiles de Trouille donne toute satisfaction. Mais au-delà de la débauche de couleurs, de la technique précise et de son univers pictural populaire de la Belle époque, il raconte aussi des histoires avec foultitude de détails et de symboles très souvent amusants. « Le peintre selon moi, manque à sa mission, s’il ne cherche pas à concilier la sensation coloristique avec la poésie d’un sujet choisi. » C’est le sujet qui le motive en premier lieu. La vision picturale au service des idées. Esthétique et politique. Couleur et subversion.

Après deux ans de régiment (c’était le tarif en 1910) il est mobilisé de 1914 à 1919 pour la première grande boucherie mondiale. Clovis passa donc sept ans comme troufion « malgré-lui ». Survivant mais trauma par la « Der des der » qu’il a vécu comme tous les p’tis copains de son âge au fond de la tranchée plein de boyaux et de gueules cassées, Clovis Trouille devient profondément antimilitariste…et anarchiste.

« Nous étions la génération sacrifiée. Privé d’amour au meilleur âge de la vie, je sortis de cette guerre abruti par les dangers, l’œil furieux, le cœur plein de rage…Toutes les belles années de ma vie se sont passées à la guerre, n’est-ce pas je ne pardonnerai jamais une infamie pareille. La patrie, c’est le pays où l’on peut vivre le mieux, ce n’est pas autre chose ; ce n’est pas l’endroit où l’on est né. La patrie, c’est le pays où l’on peut être heureux. C’est ça la patrie que l’on a à défendre, et non pas un pays, un pays qui nous fout toute notre vie dans des guerres. » Il hait autant l’Etat et ses généraux qui l’ont envoyé au casse pipe que l’Eglise et sa cléricaille hypocrite qui se paille la tête du populo.

Notre mécréant mal-pensant ne reprend le pinceau qu’à partir de 1930 en décidant de traiter des sujets bien loin de son éducation familiale et artistique. « Je suis pour l’art noir, pour le caractère maudit. Je rejette la morale de la société bourgeoise, l’imposture de sa religion, la morale de ses curés, son patriocularisme, je désire au contraire une société sans frontière.»

Il se rapproche à cette époque des surréalistes qu’il rencontre au 1er Salon des artistes et écrivains révolutionnaires où il expose une de ses toiles. Il se lie d’amitiés avec de nombreux artistes du mouvement dont André Breton qui le surnomma affectueusement « Grand maître de cérémonie du tout est permis ». Bien qu’il s’en éloigne rapido, dégoûté par les embrouilles intestines au sein du collectif et par le penchant excommunicateur de Breton, il restera cependant un fervent sympathisant des surréalistes et participera à bon nombres d’expos à leurs côtés. Il est libre Clovis !

Notre farouche bouffeur de curés anti-puritain se fait un plaisir de ridiculiser dans ses toiles les bons à riens, curetons, flics et bonnes sœurs qui prétendent porter les hautes valeurs morales de la société, en les transformant en pervers obscènes et débauchés lubriques. Un véritable leitmotiv trouillesque. « S’il y a des moines, religieuses, soldats, dans mes toiles, c’est à l’instar d’œuvres antireligieuses du passé, qui ressemblent, au premier aspect, comme deux gouttes d’eau, à des tableaux religieux, c’est là le piquant. D’employer des formes académiques à des fins subversives ». Les scènes religieuses sont nombreuses, voir obsessionnelles, mais l’empreinte du divin Marquis et de Sacher Masoch jamais loin. Le fétichisme du costume religieux est latent. L’érotisme évident. La sexualité reste suggérée, jamais (ou rarement) dévoilée.

 « La Partouze exprime l’amour sous toutes ses formes, Sade conseillait de ridiculiser les religieux. Cela fait d’autant plus mon affaire que j’aime leurs costumes, surtout à la manière de Zurbaran. C’est pictural. (…) J’ai habillé les femmes de dessous féminins 1900 parce que se sont ceux qui me paraissaient les plus érotiques, le Modern Style 1900 étant considéré, il y a longtemps, par le bourgeois, comme de mauvais goût…. »

Vulgaire et de mauvais goût pour certains, une chose est sure, Clovis Trouille transgressa avec la joie non dissimulée d’un blasphémateur assumé tous les tabous de l’époque. Ses expositions (rares) furent d’ailleurs jusque dans les années 70 confrontées aux foudres de l’ordre moral et de sa censure.

Clovis Trouille était un voyou-voyeur, un maître es j’emmerde les bourgeois, un érotomane joyeux, un anarchiste bouffeur de soutane, un peintre rocknroller avant l’heure, un précurseur du lowbrow art, un beautiful freaks de la vieille école qui méritait bien d’être connu de vous.

Mat Von Petrolo

Toutes les citations sont tirées du Livre « Clovis Trouille » (Actes Sud 2003)

« Il est vrai que je n’ai jamais travaillé en vue d’obtenir un grand prix à une biennale de Venise quelconque, mais bien plutôt pour mériter dix ans de prison et c’est ce qui me paraît le plus intéressant ».

Article du Petroblog sur la sortie du Cheribibi 7

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