BONNOT ET LA FIN D’UNE EPOQUE

[Révolte] Extraits du livre de Leclercq (Les Belles Lettres 2012)

BONNOT ET LA FIN D’UNE EPOQUE

bonnot_etlafinduneepoqueExtrait (p.23): « Si Bonnot est dans la lignée des Manda et des Leca, ils ne lui ont pas été ses exemples. Sa bande ne s’oppose pas à une bande rivale, elle ne cherche pas à défendre un quartier promu au titre de territoire, elle ne vit pas de proxénétisme. Bonnot a subit d’autres influences nées d’une révolte contre un pouvoir dont trop de membres ont des relations scandaleuses avec le monde de l’argent, et ce n’est pas par hasard qu’il rencontrera quelques membres de sa bande dans les locaux du journal L’Anarchie. La presse ne s’y trompera pas, et avant même de connaitre l’existence d’une bande qu’on dira un jour « à Bonnot », pour en désigner les membres, journaux et police n’ont pour les évoquer que le mot « anarchistes ». Certes, nombre d’entre eux ont des attaches plus ou moins proches et militantes avec le milieu de l’anarchie, encore qu’il faille distinguer ceux qui prônent une violence aveugle et ceux qui la réprouvent, mais quelle que soit la tendance, tous ont en commun la révolte contre une société aux élites peu recommandables. »

Extrait (p.45): « Et se constitue un individu particulier, le Parisien, unité indéfinie, infime partie d’une espèce de conglomérat de citadins souvent déracinés dont la masse est de plus en plus difficile à contrôler et dans laquelle fructifient les anarchistes. A Paris, on en dénombre environ 10000, mais ils ne sont pas tous semblables.
Il y a chez les anarchistes, d’un côté les intellectuels, les « orgueilleux » amis du verbe « subversif », et, de l’autre, les ouvriers, les compagnons, qui ont été recrutés et formés par la plus active des propagandes. Les anarchistes séjournant en France sont morcelés en de nombreux groupes, souvent en guerre les uns contre les autres. C’est ainsi que les communistes sont les ennemis nés et irréconciliables des individualistes. (Excelsior – 5 mai 1912)
On peut y ajouter les « bonnistes », c’est à dire ceux qui se réfèrent à l’anarchie, en fréquentant les lieux et les gens, mais dont le but est l’enrichissement personnel par le vol et le crime plutôt que la lutte pour le bien commun comme il en est de l’idéal qui domine chez Rirette. Rue du Chevalier-de-la-Barre à Romainville, on vit en communauté, on professe et pratique l’amour libre, on est plutôt de la tendance individualiste-scientifique qui proscrit l’usage du tabac, du vin, du café, de la viande, et on fait du riz brun la base des repas. Rirette a sa propre conception de l’anarchie qui « doit enseigner aux hommes le mépris des morales conventionnelles, sans les inciter au meurtre. »

Extrait (p.93): « Le 13 Janvier au soir, alors qu’il traverse la place de l’Etoile à bicyclette, Joseph Mallet est interpellé parce qu’il roule sans lanterne. Il s’arrête, lance sa bicyclette sur l’agent, fuit. Poursuivi, il tire, blesse deux passants, est rattrapé. Arrêté, on le trouve porteur de deux brownings, de deux pinces monseigneur, de deux scies à métaux. Des documents saisis chez lui montrent qu’avant d’habiter avenue des Gobelins, il avait résidé à Romainville chez Rirette. Il est une des trente six pistes que raillait l’Humanité, sans plus. »

Extrait (p.157): « Est ce comme Rodriguez dénonçant Gorodesky, un proche de la bande qui aurait échangé quelques renseignements contre un peu d’indulgence ? Est-ce la somme de 100000 francs promise à qui permettrait les arrestations qui aurait décidé un de ses proches à faire des révélations? Est-ce le résultat de l’efficace travail d’une « mouche »? Est-ce l’une des milliers de lettres anonymes et de dénonciations qui aurait livré des éléments crédibles? Comme il est écrit dans L’Humanité, « c’est ce qu’on saura difficilement ». Qu’importe. Alors que les critiques ne cessent pas et que l’idée est bien établie d’une Sûreté à jamais incapable d’arrêter les assassins, aux premiers jours d’avril, le commissaire Jouin peut enfin faire état d’une arrestation plus importante que les précédentes. »

Extrait (p.191): « Un riche propriétaire et militant anarchiste notoire surnommé « Fromentin le millionnaire » possède de vastes terrains à Choisy-le-Roi. Il en a opéré le lotissement, des maisons, des boutiques dont une épicerie, un salon de coiffure, et, ce qui devient indispensable en ce temps où les automobiles prennent leur place dans la société, un garage. D’une construction solide, il comprend un rez-de-chaussée pour le travail et un étage pour un petit logement meublé où habite Jean Dubois, un habile mécanicien anarchiste comme son patron. »

Extrait (p.223): « Et commence une nouvelle attente. L’angoisse après la satisfaction du devoir accompli. Les assiégés n’apparaissent pas au milieu des décombres piétinés par des soldats et des policiers qu’éclairent des torches à acétylène. Sont-ils morts, blessés, indemnes ou en fuites? Il faut en finir. Dans le désarroi, un officier lance une dernière idée. Les chiens! Les envoyer dans la maison. Il en rassemble quelques-uns, les lâche. Ils entrent dans ce qu’il reste de la villa Bonhoure et, aussitôt, des coups de feu qui exaspèrent l’impatience de la foule. Elle sent que la fin est proche. Elle n’est plus maîtrisée. Ils sont des milliers à essayer de forcer les barrages, à rester sous le viaduc, à patauger dans les champs, à commenter ce qu’ils ignorent en se retrouvant dans les guinguettes, et dans les jours qui viennent ils seront plus de dix mille pour visiter les lieux et essayer de forcer les barrages afin de rentrer dans la ruine de la villa Bonhoure. »