WALDEN OU LA VIE DANS LES BOIS

[Alternative] Extraits du livre (1854) de H.D Thoreau (Gallimard 2014)

WALDEN OU LA VIE DANS LES BOIS

walden_ou_la_vieExtrait: « Lorsqu’un homme est chauffé suivant les différents modes que j’ai décrits, que lui faut il ensuite? Assurément nul surcroit de chaleur du même genre, ni nourriture plus abondante et plus riche, maisons plus spacieuses et plus splendides, vêtements plus beaux et en plus grand nombre, feux plus nombreux, plus continus et plus chauds, et le reste. Une fois qu’il s’est procuré les choses nécessaires à l’existence, s’offre une autre alternative que de de se procurer les superfluités; et c’est de se laisser aller maintenant à l’aventure sur le vaisseau de la vie, ses vacances loin d’un travail plus humble ayant commencé. »

Extrait: « Vers la fin de mars 1845, ayant emprunté une hache je m’en allai dans les bois qui avoisinaient l’étang de Walden, au plus près du quel je me proposais de construire une maison, et me mis à abattre quelques grands pins Weymouth fléchus, encore en leur jeunesse, comme bois de construction. Il est difficile de commencer sans emprunter, mais sans doute est-ce la plus généreuse façon de souffrir que vos semblables aient un intérêt dans votre entreprise. Le propriétaire de la hache, comme il en faisait l’abandon, déclara que c’était la prunelle de son oeil; mais je la lui rendis plus aiguisée que je ne la reçus. C’était un aimable versant de colline que celui où je travaillais, couvert de bois de pins, à travers lesquels je promenais mes regards sur l’étang, et d’un libre petit champ au milieu d’eux, d’où s’élançaient des pins et des hickorys. « 

Extrait: « J’appris de mes deux années d’expérience qu’il en coûterait incroyablement peu de peine de se procurer sa nourriture nécessaire même sous cette lattitude; qu’un homme peut suivre un régime aussi simple que font les animaux, tout en conservant santé et force. J’ai dîné d’une façon fort satisfaisante, satisfaisante à plusieurs points de vue, simplement d’un plat de pourpier (Portulaca oleracea) que je cueillis dans mon champ de blé, fis bouillir et additionnais de sel. Je donne le latin à cause de la saveur du nom vulgaire. Et, dites moi, que peut désirer de plus un homme raisonnable, en temps de paix, à l’ordinaire midi, qu’un nombre suffisant d’épis de maïs verts bouillis, avec l’addition de sel ? »

Extrait: « Le plus près que j’approchai de la possession effective fut lorsque ayant acheté la terre de Hollowell, j’eus commencé à choisir mes graines, et rassemblé de quoi fabriquer une brouette pour la faire marcher, sinon l’emporter; mais le propriétaire ne m’avait pas encore donné l’acte, que sa femme changea d’idée et voulu la garder, sur quoi il m’offrit dix dollars pour le dégager de sa parole. Or, à dire vrai, je ne possédais au monde que dix cents, et il fut au-dessus de mon arithmétique de dire si j’étais l’homme qui possédait dix cents, ou possédait une ferme, ou dix dollars, ou le tout ensemble. Néanmoins je le laissais garder les dix dollars et la ferme avec, attendu que je l’avais, lui, fait suffisamment marcher; ou plutôt, pour être généreux, je lui vendis la ferme juste le prix que j’en donnai, et, comme il n’était pas riche, lui fis présent de dix dollars; encore me resta t-il mes dix cents, mes graines et de quoi fabriquer une brouette. Je découvris par là que j’avais été riche sans nul dommage pour ma pauvreté. »

Extrait: « Singulière expérience que cette longue connaissance cultivée par moi avec des haricots, soit en les semant, soit en les sarclant, soit en les récoltant, soit en les battant au fléau, soit en les triant, soit en les vendant – c’était, ceci, le plus dur de tout – je pourrais ajouter, soit en les mangeant, car, oui, j’y goûtai. J’étais décidé à connaître les haricots. Tandis qu’ils poussaient, j’avais coutume de sarcler de cinq heures du matin à midi, et généralement employais le reste du jour à d’autres affaires. Songez à la connaissance intime et curieuse qu’ainsi l’on fait avec toutes sortes d’herbes – il y aura lieu à quelque redite dans le récit, car il y a pas mal de redites dans le travail – en troublant sans plus de pitié leurs délicats organismes, et en faisant de si révoltantes distinctions avec son sarcloir, rasant des rangs entiers d’une espèce, pour en cultiver assidûment d’une autre. »

Extrait: « Parfois mes pas me portaient soit aux bouquets de pins, dressés comme des temples, ou des escadres en mer, toutes voiles dehors, leurs rameaux ondoyant où se jouait la lumière, si veloutés, si verts, si ombreux, que les druides eussent délaissé leurs chênes pour adorer en eux; soit au bois de cèdres passé l’Etang de Flint, où les arbres couverts de baies bleues givrées, poussant toujours plus haut leur flèche, sont dignes de se dresser devant le Valhalla, et le génévrier rampant couvre le sol de festons chargés de fruits; soit aux marais où l’usnée se suspend en guirlandes aux sapins noirs, et les « chaises de crapaud », tables rondes des dieux des marais, couvrent le sol, pour d’autres et plus beaux champignons adorner les troncs d’arbres, tels des papillons, tels des coquillages, bigorneaux végétaux; « 

Extrait: « Si nous connaissions toutes les lois de la Nature, nous n’aurions besoin que d’un fait, ou de la description d’un seul phénomêne réel, pour tirer toutes les conclusions particulières à ce point. Actuellement nous ne connaissons que quelques lois, et notre conclusion se trouve faussée, non pas, cela va sans dire, par suite de nulle confusion ou irrégularité dans la Nature, mais par suite de notre ignorance des éléments essentiels dans le calcul. Nos notions de loi et d’harmonie sont généralement limitées à ces exemples que nous découvrons; mais l’harmonie qui résulte d’un beaucoup plus grand nombre de lois apparemment en conflit, et réellement en accord, non par nous découvertes, est encore plus surprenante. »