B.TRAVEN : DANS L’ETAT LE PLUS LIBRE DU MONDE

B. Traven, illustre romancier traduit en quarante langues, refusait à toute force d’avouer de son vivant qu’il avait été Ret Marut, révolutionnaire allemand de tendance stirnérienne, éditeur et rédacteur de la revue munichoise radicale Der Ziegelbrenner (1917-1921).

Dans l’état le plus libre du monde est un recueil de textes publiés dans cette revue. Ces textes choisis nous apprennent comment il a en 1919 échappé d’un cheveu au massacre, lors de la sanglante répression de la République des conseils de Bavière. Ils donnent une idée de ce que ce « fondeur de briques » pensait de la guerre, de l’Etat, de la presse et de tous ces charniers immondes que l’on rougit de nommer – auxquels il oppose la nécessité d’un bouleversement mondial des conditions existantes.

Extrait: (Contraste – Der Ziegelbrenner – décembre 1921)

« Je ne puis aller au-delà du jour ou je vis. Mais je me place au-dessus. C’est ma volonté et c’est ainsi. Un roi à-t-il déjà pu davantage ? Un gouvernement au dessus de moi ? Ou cela ? Et si je ne reconnais pas le gouvernement ?! Je n’ai qu’à le vouloir et il n’existe plus. Un gouvernement sans gouvernés. Quel gouvernement? Je n’en ai pas, puisque je ne le respecte pas, puisque je ne le reconnais pas. Il peut me tuer. En serait-il davantage gouvernement ? Une pierre que m’a lancée un enfant peut me tuer, un cheval emballé peut me tuer. L’enfant, la pierre, le cheval en sont-ils pour autant un gouvernement ?
Mais je garde mes mains dans mon giron. Un soldat du gouvernement peut m’empêcher d’accomplir un travail utile – et seul est utile le travail nécessaire. Un seul soldat. Mais milles soldats gouvernementaux, armés de canons et de tanks, ne peuvent m’obliger à travailler. Ils peuvent me contraindre de rester à mon poste; mais ils ne peuvent faire que le travail auquel ils me contraignent serve à quelque chose.
Que celui qui à des oreilles entende !
Que celui qui à des mains touche !
Y a-t-il un gouvernement qui soit au-dessus de moi ? Il peut me tuer. Néanmoins, je n’y perd rien; j’y gagne. Un mort est une caisse de résonance que nul tribunal, nulle muraille de prison ne peut faire taire. Le gouvernement peut me tuer. Je n’y perds rien. Mais le gouvernement perd un homme qu’il comptait gouverner. Et qu’est un gouvernement sans homme à gouverner ? Et si ma volonté de ne pas être gouverné vaut plus que ma vie ? Ma vie est bornée, être gouvernée est sans bornes ? Oh! que tu es donc misérable, gouvernement ! Toi qui t’imagines gouverner et qui n’es rien quand je te nie. Oh! que vous êtes donc misérables dans vos réunions, à parler et à ne pas agir !
Vous vous repaissez de votre haine contre Noske, qui à déjà signé sa propre chute avec son premier crime. Votre haine contre lui? Qui n’a ni âme, ni conscience ne sera jamais touché par la haine. Et comment la haine pourrait elle le toucher, puisqu’il n’a jamais connu l’amour, qu’il n’a était qu’un chef qui avait besoin de subordonnés pour devenir monarque. Est-ce qu’un seul de vos chefs a d’autres buts que vous régenter ou se servir de vous pour en dominer d’autres ? Soyez tous des chefs vous-même ! Que chacun soit son propre chef ! Je n’ai pas besoin de chef. Alors pourquoi vous, qui êtes aussi bien que moi, qui pouvez penser tout comme moi ? Je ne veux éduquer personne. Je ne veux persuader personne. Je ne veux convertir personne; car si vous pensez, vous connaîtrez la vérité et vous saurez ce qu’il faut faire. Pensez! C’est mon droit d’exiger cela de vous, puisque vous êtes des hommes et que vous pouvez penser. Oui, mon droit. Mon droit de toute éternité. (…) Pensez ! Mais vous ne pouvez pas penser, parce qu’il vous faut des statuts, parce que vous avez des administrateurs à élire, parce que vous avez des ministres à introniser, parce que vous avez besoin de parlements, parce que vous ne pouvez pas vivre sans gouvernements, parce que vous ne pouvez pas vivre sans chef. Vous cédez vos voix pour les perdre, et quand vous voulez vous en servir vous-mêmes, vous n’en disposez plus, et elles vous font défaut parce que vous les avez cédées. Pensez ! Vous n’avez besoin de rien d’autre. Prenez conscience de la sereine passivité que vous avez en vous, dans laquelle s’enracine votre invincible pouvoir. Laissez d’un cœur apaisé et insouciant s’effondrer la vie économique; elle ne m’a pas apporté le bonheur et elle ne vous l’apportera pas non plus. Laissez consciemment pourrir l’industrie, ou c’est elle qui vous pourrira. Vous faites grève. Bravo, bande de serfs ! L’industrie s’engraisse de vos grèves et vous affame. Vous faites grève et vous gagnez. Ô vainqueurs ! ce que vous avez gagné, c’est un maigre quignon de pain: pendant que vous fêtiez la victoire, le vaincu a acquis deux domaines. Ô vous qui vainquez ! Vous qui vous convainquez ! Votre chef est devenu ministre, fiers vainqueurs ! Qu’avez vous besoin de sofa en peluche ! C’est le signe de votre servitude. Tant que vous tiendrez à votre sofa en peluche, vous resterez esclaves... »