GIRL IN A BAND

[PostPunk Bio] Extraits du Livre de Kim Gordon (LeMotetLeReste 2015)

GIRL IN A BAND – KIM GORDON

girl_in_a_bandExtrait: « Ce soir là, après trente ans de carrière, c’était le dernier concert de Sonic Youth. (…) Les concerts qui s’étiraient sur trois jours, étaient diffusés à la télévision sud-américaine et disponibles en streaming sur Internet, avec des gros sponsors comme Coca Cola ou Heineken. Les têtes d’affiche étaient Faith No More, Kanye West, les Black Eyed Peas, Peter Gabriel, les Stone Temple Pilots, Snoop Dogg, Soundgarden, enfin, ce genre de groupes. On devait être les moins connus du lot. Plutôt bizarre de finir la-dessus. (…) Or ce qui distinguait cette tournée de celles d’avant, c’était que Thurston Moore et moi ne nous parlions plus; on n’avait quasiment pas échangé un mot de toute la semaine. Après vingt-sept ans de vie conjugale, quelque chose s’était brisé. En août, je lui avait demandé de quitter notre maison du Massachussetts, et il l’avait fait (…) Ce couple vu comme mythique, intouchable, qui avait donné de l’espoir aux jeunes musiciens aspirant à sortir indemnes de ce monde cinglé du rock’n’roll, n’était désormais plus que le cliché d’une relation ratée…crise de la cinquantaine, maîtresse, double vie, la totale. »

Extrait: « Un jour qu’on était en tournée à Lawrence, dans le Kansas, en première partie de REM, Thurston et moi avons rendu visite à Wiliam Burroughs; Michael Stipe nous a accompagnés. Burroughs vivait dans une petite maison avec garage, et la table basse de son salon était quadrillée de couteaux et de poignard fantaisie – élégantes armes de destruction incrustées de joyaux. Ce jour-là, j’ai été frappée de constater à quel point Burroughs ressemblait à mon père; ils étaient tous les deux sans-façon, avec un humour pince-sans-rire, et leur allure était même un peu similaire. Coco, notre fille, était encore un nourrisson et, à un moment donné, elle s’est mise à pleurer. Burroughs a commenté, de sa voix, à la Burroughs: « Ooohh…elle m’aime bien. » Je pense qu’il n’a pas du côtoyer beaucoup d’enfants. »

Extrait: « A un moment donné, alors qu’il vivait à Malibu, mon frère s’est mis à s’habiller en blanc de la tête aux pieds; il s’est fait pousser une longue barbe et se trimballait avec une Bible, non pour des raisons religieuses, répondait il si on lui posait la question, mais plutôt pour sa qualité littéraire. Il a commencé à inventer des mots, son propre alphabet, sa propre langue. Il tenait à se faire appeler « Oedipus », ce qui était censé être une référence marrante à Sophocle. Même là, ce comportement ne semblait pas si extraordinaire; il n’était pas le seul barbu excentrique à parcourir les rues de L.A. Carles Manson commençait à faire des apparitions autour des plages et des canyons de Malibu; il arrivait à Keller de crécher dans une maison au pied de Topanga Canyon où, un soir, il a fait la rencontre d’un autre membre de la famille Manson, Bobby Beausoleil. Bobby lui disait sans cesse: « Tu devrais passer nous voir au ranch un jour. » Par chance, Keller ne l’a jamais pris au mot. (…)Le jour où il a eu sa première vraie crise psychotique. En plein délire shakespearien, il considérait toutes les femmes qui l’entouraient comme de « jeunes vierges » et a sauté sur une fille dans la cafétéria; les flics du campus ont fini par le traîner de force au service psychiatrique. Une fois relâché, il est revenu à la maison et s’est installé chez mes parents; au cours des années suivantes, ils ont eu de plus en plus de mal à le maîtriser. Il emménageait dans un centre de réadaptation, promettait de recommencer à prendre ses médicaments, ne tenait pas parole et finissait à la rue, ou alors surgissait chez mes parents, agressif, menaçant et paranoïaque. »

Extrait: « Dans les années 80, New York était au bord du délabrement; les éboueurs se mettaient en grève tous les mois, du moins c’est ce qu’il semblait, l’infrastructure était fragile et en passe de s’effondrer. De nos jours, la ville, imposante, scintille de mille feux, d’une manière que la plupart de mes connaissances détestent et ne comprennent pas. Entre la 60e et la 80e rue Ouest, la route est enlacée par d’ignobles immeubles Trump, monuments dressés en hommage à la corruption urbaine, à l’argent facile et aux autochtones qui auraient dû descendre dans la rue mais qui se taisent. Un peu plus au sud de l’île, joggeurs, poussettes et bicyclettes rouges et bleues circulent le long d’une voie piétonne fleurie bordant des quais autrefois effrayants mais désormais tombés dans l’oubli, où des homos se retrouvaient naguère à la faveur de l’obscurité pour des rancards ou des coups d’un soir et où des putains en manteaux de fourure et cuissardes faisaient le tapin jusqu’au lever du soleil. The Westway, une vieille boite de strip-tease sur Clarkson Street, est toujours là, sauf qu’aujourd’hui elle appartient au gérant d’un restau pour hipsters qui cherche à attirer les adeptes d’un mode de vie culturel second degrès appartenant plus au monde de la mode qu’à celui de l’art, des gens qui sont « cool » parce qu’ils habitent New York. »

Extrait: « Ce soir là, Miranda et moi nous sommes rendues dans un club de la 15e avenue appelé Plugg, géré par un type prénommé Giorgio, qui avait de vagues connexions avec Led Zeppelin ou les Stones. Plugg, bien sur, n’existe plus aujourd’hui; mais c’était effectivement l’ultime concert des Coachmen, et le guitariste rythmique avait effectivement un petit truc en plus. Grand et maigre – il faisait plus de deux mètres, ce qu’il m’a précisé plus tard -, les lèvres charnues comme des coussins, il était charismatique et avait l’air sur de lui. (…) Après le concert, Miranda s’est occupé des présentations; j’étais surprise d’être aussi surexcitée de rencontrer ce type. Par la suite, Thurston raconterait qu’il avait été séduit par mes lunettes à verres noirs rabattables. »

Extrait: « En 1985, à la sortie de Bad Moon, les groupes de hardcore faisaient des compos sur Ronald Reagan; ça ne m’intéressait pas trop, je préférais chanter sur les ténèbres qui scintillaient sous les abords rutilants de la culture pop américaine. Je suppose qu’on pourrait dire que Sonic Youth cherchait toujours à déjouer les attentes. On était sortis d’un milieu artistique new-yorkais – même si c’était de manière un peu dévoyée – pour se fondre dans la scène rock. Le simple fait d’être un groupe new-yorkais qui ne jouait pas à New York, ça suffisait à destabiliser; le public s’attendait à se retrouver face à une bande de toxicos sordides attifés de noir. »