INTERVIEW PETROLO by SIN’ART

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On cause de la Petroleuse avec bibi dans le fanzine/bulletin L’AUTREMENT de l’asso cinéBis SIN’ART from Bezak. Une interview de l’été 2018.

Pour lire L’AUTREMENT N°6 (Nov 2018) en PDF dans son intégralité clique sur le lien ci dessous et télécharge: http://www.sinart.asso.fr/index.php?id_cat=24&id=65

La Pétroleuse, librairie de contre-culture(s) en ligne, existe depuis 2004 et fait partie de ce que l’on peut considérer comme étant les partenaires historiques de Sin’Art. Régulièrement, Mathias prend certains de nos fanzines en dépôt bien que sa librairie ne soit pas spécifiquement branchée cinéma. L’Autrement est l’espace qui nous permet de vous présenter le travail de La Pétroleuse.

Qu’est-ce qu’une pétroleuse ?
C’est le sobriquet dont les bourgeois affublèrent les communardes. Pour les Versaillais, des femmes qui s’insurgeaient contre l’ordre établi, politique, social et moral ne pouvaient être que des hystériques, des harpies révolutionnaires, des louf pyromanes qui, les allumettes et le bidon d’essence en main, boutaient le feu partout. Une image de la propagande réactionnaire et cléricale pour discréditer ces gueuses révoltées qui combattaient les injustices sociales et le patriarcat. Un fantasme. Une caricature. Une figure de monstre pour justifier les exactions de la semaine sanglante. Cette pétroleuse a continué d’exister dans l’imaginaire populaire, se transformant peu à peu en figure positive (peut-être pas encore pour tous) de la femme debout, rebelle et déterminée. L’image collait au poil avec l’idée que je me faisais de ma librairie

La Pétroleuse est une librairie « branchée sur les cultures en marge, mutantes, radicales, déviantes, étranges, bizarres, alternatives, indépendantes, undergrounds et engagées. » Concrètement, cela se traduit comment ? Pour faire vite, La Pétroleuse diffuse deux types de littérature qui (selon moi) se complètent. D’un côté, des livres et fanzines liés de près ou de loin à une (contre) culture rock et punk (musique, graphisme et illustration, tatouage, érotisme, cinéma de genre, etc). De l’autre, des livres de critiques sociales adoptant (en majorité) un point de vue anarchiste et/ou (post)situationniste.
Les livres dispo à La Pétroleuse reflètent mes goûts et l’envie que j’ai de vouloir les partager avec d’autres lecteurs. La Pétroleuse se veut un électron libre et iconoclaste sans dieu ni maître au pays du rock’n’roll. L’idée est de faire rimer lutte, critique, réflexion avec plaisir, fun, frivolité. La Pétroleuse reprend à son compte la citation (apocryphe) d’Emma Goldman : « If i can’t dance, it’s not my revolution ». Alors oui, la Pétroleuse ce sont des cultures en marge, souvent déviantes, parfois bizarres, toujours engagées. Avec des essais, des romans, des beaux livres, des bio, il y en a pour tous les goûts pour autant qu’on aime le livre, le mauvais esprit et l’esprit critique.

La Pétroleuse existe depuis une quinzaine d’années. Est-ce que tu constates une évolution dans les produits que tu proposes, que cela soit dans leur forme ou les messages qu’ils véhiculent ? Quels grands sujets de société sont plus présents par exemple ?
Fondamentalement, les sujets et thématiques abordés par La Pétroleuse n’ont pas vraiment changé depuis 2004. Bien sûr, il y a eu des évolutions avec quelques inflexions ici et là. D’une part parce que j’ai commencé avec moins d’une centaine de titres et qu’aujourd’hui il y en a plusieurs milliers et que des choix se sont faits au fur et à mesure. Et d’autre part il est évident que la personne que j’étais il y a 15 ans n’est plus tout à fait la même qu’aujourd’hui. Les envies et les goûts personnels évoluent. Heureusement. Même s’il reste toujours les fondamentaux. On découvre, on creuse, on s’intéresse. Est aussi apparu ces dernières années tout un côté « punk bazaar » avec des t-shirts, des patchs et des badges. Le mieux pour se faire une idée plus précise est d’aller fouiller dans les rayons virtuels du site de la librairie.

Dans une société qui semble frileuse, est-ce un secteur en déclin ou en essor ? Les gens sont-ils en demande de contre-culture ? Les petites librairies indépendantes survivent face aux fnacamazon. La loi sur le prix unique du livre sauve encore ici ou là quelques Mohicans. C’est un secteur d’activité où il vaut mieux être prêt à envisager le commerce comme une mission bénévole. Et même si La Pétroleuse a toujours navigué pour éviter le naufrage menaçant, le constat est ces dernières années de plus en plus pessimiste. Les commandes de livres diminuent. Alors soit les gens lisent moins soit ils commandent au pays des frais de port gratuits. Peu importe. La Pétroleuse continue contre vents et marées. Et même si elle ne doit vendre que trois livres ici où là, elle sera toujours contente de satisfaire celui ou celle qui recevra émerveillé l’ouvrage rêvé. Quant à la demande de contre-culture (encore faudrait-il définir le terme) difficile de répondre. Les gens me semblent comme jamais frustrés, en colère, appauvris et pourtant rien ne bouge nulle part. C’est l’apathie généralisée et ceux d’en haut pavoisent. D’un autre côté, nos libertés individuelles et collectives reculent un peu plus chaque jour pendant qu’un ordre moral et puritain regrignote du terrain. La France dort d’un sommeil profond et léthargique chantait OTH en 85. Trente ans plus tard (Eté 2018) elle ne s’est pas réveillée et elle continue à faire des cauchemars. Par définition, les contre-cultures s’adressent toujours à une frange minoritaire de la population. Parfois (presque toujours) elles se font manger, absorber et digérer par le système dominant qui n’en garde qu’un aspect esthétique hors de toute dangerosité sociale. Il existe toujours des pratiques alternatives et underground mais je n’ai pas le sentiment que l’époque amène (bien que tous les éléments soient propices) une explosion de cultures minoritaires. Mais c’est le genre de chose qui peut changer très vite !

Peux-tu évoquer ton parcours jusqu’à la création de La Pétroleuse ?
J’avais 14-15 ans quand j’ai su que je voulais faire rocker. De la musique qui balance, des bières, des clopes et du baston. Un programme hachement
excitant. Vu que j’étais pas franchement gaulé pour le baston et que j’avais pas non plus le rythme dans la peau pour faire des riffs avec les potes, je me suis rabattu sur les clopes et la bière. Puis rapido j’ai fait mon premier zine avec deux autres gaziers (un des rares pyschozines français en ce tout début des 90’s – au gentil nom de Mutant Blob – un lien avec le cinéma de genre ?) Puis très vite mon second déjà plus branché punk, hardcore et anarchie. Des études qui servent pas à grand-chose (j’ai dit que je voulais faire rocker), deux trois collages d’affiches pour la bonne cause et encore quelques bières, je fais mon troisième zine (bon là ça tourne carrément en mode cortège de tête avant l’heure), puis un peu de distro do-it-yourself et no-profit comme on disait à l’époque avec deux trois co-productions de disques pour aider les copains etc. Bref, je m’investis (de loin) dans la scène punkanarchodiy de l’époque lorsque boom j’ai une idée du tonnerre : distribuer des livres que je trouve carrément cool et qu’on ne trouve pas à chaque coin de rue (surtout quand on est un punk semi-rural de la France profonde). Le premier choc avec un punky book qui m’a donné cette envie fut le Banned in DC de Cynthia Connolly (super livre de photos de la scène de Washington DC early 80’s) et le Get in the Van (où tonton Rollins raconte ses mésaventures avec Black Flag). À l’époque, Internet balbutie, les sites clignotent de partout et personne ne connaît Amazon. Je craque mes économies, commence à acheter quelques cartons de livres (avec pas mal d’import US hyper-excitants), monte mon premier site (avec trois pages en html donc) et hop vogue la galère, je me retrouve commerçant bénévole.

La Pétroleuse édite-t-elle également des ouvrages elle-même ?
Pas encore. Mais c’est bien sûr un projet qui me trotte dans la tête depuis longtemps. Et que ce soit La Pétroleuse ou pas, ça se fera. J’ai deux trois idées dans un coin de tête (plutôt liées à la scène punk). Mais éditer (et éventuellement écrire) c’est encore une activité bénévole à temps plein et trouver le temps (et la motivation), c’est pas évident. (Faut bien que je passe aussi du temps dans mon jardin si je veux manger !)

Que penses-tu du cinéma actuel ? Existe-t-il selon toi des cinéastes passés ou présents qui peuvent se revendiquer de la contre-culture ? Je ne suis pas particulièrement un cinéphile averti ou un cinévore ogresque. Et pas facile de faire une généralité entre les machineries à cash hollywoodiennes et les films à petits budgets des circuits indépendants. Je me réserve le plaisir du blockbuster à la télé. Plaisir toujours déçu. Non pas à cause de la taille de l’écran mais à cause de la nullité scénaristique (entre autres) de cette industrie qui ne vend que du vide. Perso, j’aime bien le cinoche dans une petite salle avec cinq gugussses et un film auquel on ne s’attend pas. On a la chance d’avoir deux bons cinéma indé à Poitiers (Le Dietrich et le Tap Ciné pour ne pas les citer) et il est indéniable que les bons films ça ne manque pas. Dernièrement j’ai bien aimé le Lucky de JC Lynch. J’aime bien le cinéma des années 70. Probablement pour l’ambiance. Je suis ouvert à tous les genres et sous-genres de cinéma et il faut vraiment que le film soit fait avec les pieds pour que j’aie envie de le descendre (le problème, c’est qu’en fait il y en a un paquet qui sont fait avec les pieds). Ah une claque ces dernières années a été la ressortie ciné de Wake in Fright (Ted Kotcheff 1971). Bim Bam Boom. Bon ok rien à voir avec le cinéma actuel. Tant pis j’ai adoré. Comme les livres, c’est avec le temps qu’on sait si un film nous a marqués : on s’en souvient simplement. Des cinéastes de contre-culture ? Évidemment le premier qui me vient à l’esprit lorsqu’on évoque ce genre de cinéma, c’est Richard Kern (celui des années 80) et toute la raya newyorkaise de l’époque : Nick Z, Lydia Lunch, Sonic Youth, Lung Leg… À la fois inventif, violent, beau, trash et revendicatif. Sinon, j’ai eu l’occase de voir l’autre jour en chair et en os Dario Argento qui venait à l’occasion de la sortie de son livre à Poitiers et qui expliquait qu’il y avait toujours dans ses films une part de critique sociale. Dont acte.

Un mot encore ? Cet espace est pour toi.
Lisez ! Que ce soit avec de belles images ou plein de mots alignés, je crois qu’on n’a pas trouvé mieux qu’un livre (ou un fanzine) pour se faire plaisir, découvrir, réfléchir, apprendre, passer le temps, s’évader et tout un tas d’autres trucs qui ne pourront être que positifs. Il y en a des chiants, des beaux ou des difficiles. Un livre, c’est un peu comme un film au cinéma quoi ! Support your local bookstore ! Support La Pétroleuse ! Support Sin’Art ! Rock and Riot !