ANGRY BRIGADE – CONTRE CULTURE ET LUTTES EXPLOSIVES

[Luttes 1970’s] Extrait du Livre de Servando Rocha (L’Echappée 2013)

ANGRY BRIGADE: CONTRE-CULTURE ET LUTTES EXPLOSIVES EN ANGLETERRE (1968-1972) Servando Rocha (L’Echappée 2013)

angry_brigade_lechappeeExtrait: « L’histoire de la Angry Brigade est exemplaire. Notamment parce qu’elle en dit beaucoup sur la fin d’une époque où les principales armes pour changer le monde étaient la paix et la désobéissance civile. Au Royaume-Uni, cet esprit pacifiste a régné tout au long des années 1950 (principalement dans le puissant mouvement antinucléaire) et 1960 (au sein de la nouvelle gauche). Mais c’en est fini, le divorce est désormais consommé entre les apôtres de la désobéissance civile et les tenants d’une ligne plus dure. (…) Quelques mois plus tard, en octobre 1968, nouvelle manifestation. Plusieurs milliers de protestataires se séparent du cortège principal, formé par plus de 20000 personnes défilant à distance de l’ambassade pour éviter désordre et arrestations. Regroupés derrière la bannière du Front de solidarité Vietnam, des groupes d’anarchistes, de marxistes radicaux, de freaks, de skinheads, de féministes ou de hippies marchent vers le bâtiment de Grosvenor Square. »

Extrait: « L’action armée se fonde toujours sur une identité forte. C’est elle qui amène à parler au nom du secteur social pour lequel on dit lutter – par exemple, la classe ouvrière. Risque évident: « L’inversion de cette base identitaire débouche parfois sur un subjectivisme exacerbé au sein duquel le protagoniste de la violence, incapable de définir son identité sociale, ne peut plus parler, sinon de lui même », constate Michel Wieviorka en 1987. L’assassinat d’Aldo Moro par les Brigades Rouges en est la parfaite illustration. Il en va autrement pour la Angry Brigade. Son objectif est de mobiliser et de pointer, en termes symboliques (sans faire de morts ni de blessés), les mécanismes de la répression moderne, de l’aliénation et de son influence sur la défaite du prolétariat (dans le communiqué n°9, le groupe dénonce « le recensement maison par maison, les fichiers de la Sécurité sociale, les ordinateurs et les télévisions »). Mais il n’est pas question de prétendre se substituer aux luttes ouvrières en cours. Au contraire, insiste la Angry Brigade dans son septième communiqué: « Nous croyons en l’autonomie de la classe ouvrière. Nous en faisons partie et sommes disposés à donner notre vie pour notre libération. »

Extrait: « A la fin des années 60, des structures de guérilla informelles, organisées en groupes affinitaires, surgissent ainsi au sein de cités européennes. L’idée n’a rien de neuf: elle est originellement théorisée par les Motherfuckers américains. Dès les années 1966-1967, les membres de ce groupe, alors connu sous le nom du bulletin qu’ils impriment, Black Mask (publication très en avance sur son époque, marquée à la fois par l(‘anarchisme et par les avant-gardes artistiques, dont Dada et le surréalisme), soulignent que les révolutionnaires luttant à l’intérieur des métropoles occidentales doivent s’organiser en groupes affinitaires – une forme de « bande de rue » politisée. (…) Bon nombre des pamphlets ou affiches des Motherfuckers sont réimprimés en Angleterre et publiés dans la presse underground. C’est le cas de ceux qui font référence aux Noirs comme nouveaux sujets révolutionnaires, qui critiquent tous azimuts le mouvement hippie, qui font l’appologie de la violence ou qui revendiquent une vraie proximité avec les hors-la-loi en tout genre. (…) Les groupes affinitaires portent également une critique du fonctionnement interne des organisations politiques classiques. Une bonne part de la nouvelle gauche trouve alors son inspiration dans la fraîcheur et l’antiautoritarisme d’un mouvement féministe débutant, ouvrant de vifs débats sur le type de fonctionnement à adopter. »

Extrait: « King Mob naît au début de l’année 1968, lancé par ce petit groupe qui a formé la section anglaise de l’IS (avant d’être brutalement exclu). Il critique vigoureusement le petit monde hippie et developpe un discours politiquement incorrect, même pour l’extrême gauche (un autre de ses graffitis, en défense des tueurs en série: « le crime est la plus haute expression de la sensibilité »). (…) En 1968 et 1969, King Mob incarne ainsi l’expérience radicale la plus aboutie de la scène underground anglaise. Le groupe popularise les idées situationnistes auprès de la nouvelle contestation britannique. Et inspire tous ceux qui rejettent la récupération en marche, celle des hippies et de la contre-culture. (…) Après les années 1970, les anciens membres de King Mob critiquent assez sévèrement les activités et la nature de la Angry Brigade. Ils qualifient en effet ses activistes de « réformistes violents par voie de bombes ». Mais ils reconnaissent aussi que de toutes les organisations armées de l’époque, la Brigade est la « plus avancée, celle qui dressait la meilleure critique » de la société moderne. »

Extrait: « Au début de l’année 1970, Barker et Creek assistent à une discussion organisée par la Croix noire anarchiste au local de Freedom Press, à Whitechapel. L’espagnol Miguel Garcia, qui a été l’un des proches collaborateurs – et le colocataire – d’Octavio Alberola, du Grupo Primero de Mayo, y prend la parole. L’homme a passé plus de vingt ans dans les geôles franquistes, avant d’être contraint à quitter son pays. Et les britanniques se retrouvent face au type de personnage qu’ils rêvent de devenir: un révolutionnaire internationaliste, prenant part à une guérilla urbaine dépourvue de toute structure hiérarchique. Bref un anarchiste exemplaire. Garcia est accompagné d’un traducteur, l’inévitable libertaire écossais Stuart Christie, qui a fait sa connaissance lors d’un séjour à la prison de Carabanchel. Ce soir-là, l’Ecossais se lie avec les futurs membres de la Angry Brigade. Une rencontre essentielle. La trajectoire personnelle et politique de Christie renvoie en effet à l’essor de ce nouvel activisme né autour des Jeunesses libertaires, en réaction à l’anarchisme figé que portent alors la CNT et la FAI en exil. »

Extrait: « Les modes d’expression des rebelles londoniens ont beaucoup changé en très peu de temps. Habershon ne sait pas d’où viennent ces mauvais sujets, ne comprend pas leur évolution. Mais il s’obstine quand même à déchiffrer, par la force, ce papyrus qui lui résiste obstinément. Tout le quartier de Notting Hill se trouve ainsi en état de siège. Ses rues sont parcourues en permanence par des flics en civil, et chaque local collectif, librairie ou communauté a droit à sa perquisition hebdomadaire. Les hippies sont persécutés et mis sous pression, ce qui ne fait qu’augmenter leur sympathie pour les idées de la Angry Brigade – peut il y avoir plus éclatante démonstration que le pays est bien en guerre, une guerre menée contre les travailleurs, la nouvelle gauche, la contre culture et les révolutionnaires? Bien des gauchistes, après avoir goûté aux méthodes policières, adoptent des idées plus radicales. »

Extrait: « Purdie et Prescott moisissent en prison, attendant leur procès. Et les indices s’accumulent contre Barker et ses amis. Bref, le moment est venu pour la Brigade spéciale de lancer sa plus importante opération contre le groupe subversif. Elle s’y prépare. La date fatidique est fixée: vendredi 20 aoùut 1971. Ce qui s’est passé les jours précédents? d’après Christie, Barker est parti en voyage avec une femme inconnue, membre de la Angry Brigade (il ne révélera pas son nom même lors du procès). Creek les a accompagnés un temps. Selon la police, le voyage avait pour but de se procurer des explosifs. »