PIRATES DE LA LIBERTÉ

[Résistance 1960’s] Extraits du livre de Xavier Montanya (L’Echappée 2016)

PIRATES DE LA LIBERTÉ – HISTOIRE DETONANTE D’UN DETOURNEMENT DE PAQUEBOT ET DE LA LUTTE ARMEE CONTRE FRANCO ET SALAZAR (1960-1964)

pirates_de_la_libertéExtrait: « Les méthodes répressives de la vieille garde franquiste, comme tant d’autres choses, devront cependant bientôt être davantage dissimulées afin de le maintenir au pouvoir, et ce contre sa volonté et celle des courants les plus radicaux de l’extrême droite. Les nouvelles générations parmi ses collaborateurs, les démocraties européennes et, surtout, le Vatican et les Etats-Unis l’appuieront certes jusqu’à la fin, mais en le forçant à ces petites opérations de maquillage indispensables pour lui permettre d’entrer dans le marché capitaliste international et ses institutions économiques, politiques et militaires sans trop détonner. En cette année 1959, le triomphalisme du général à propos de sa personne et de son œuvre apparait comme un mirage dans une Espagne proche de la banqueroute. »

Extrait: « Dans les années 1950, la première tentative pour construire un grand mouvement d’action anti-franquiste est menée fin 1958 dans diverses capitales sud américaines et européennes: elle a pour nom l’Union des combattants espagnols (UCE) et pour principal représentant le lieutenant colonel républicain espagnol exilé à Cuba Alberto Bayo. Pepe Velo s’intègre à l’UCE de Caracas comme d’autres exilés qui pensent qu’il faut tester de nouvelles formes d’action pour renverser les dictatures ibériques. Pour eux, il est primordial de revenir à l’action directe, contrairement à ce que préconisent les partis communistes espagnols et portugais, avec leur politique de réconciliation nationale qui entend lutter contre les dictatures de façon pacifique. Les communistes espagnols et portugais de l’exil seront toujours opposés aux projets des groupes partisans de l’action, comme l’UCE et plus tard le DRIL, et s’opposeront avec tous les moyens à leur disposition dont les armes – pacifiques, mais qui blessent tout de même – de la disqualification, de la rumeur malintentionnée et de la calomnie. »

Extrait: « C’est à ce moment là que Pepe Velo commence à imaginer un plan visant à détourner un navire transatlantique. Débute alors un long processus d’étude et de planification de l’action ainsi que de récolte d’armes et d’argent. Mais Velo a besoin avant tout de trouver quelqu’un capable de commander un navire. C’est ainsi qu’il recrute un camarade galicien, l’ex-officier de la marine républicaine José Fernando Fernandez Vasquez, qui prend le surnom de Jorge de Sotomayor, en tant que commandant général du DRIL pour la partie espagnole et responsable de la coordination navale de l’opération Dulcinée. Sotomayor possède une expérience du combat naval et de la guérilla acquise durant la guerre et il a un long passé de militant de gauche. Il fut proche du PCE mais s’en éloigne au moment d’intégrer le DRIL, en désaccord, comme tant d’autres, avec sa politique de réconciliation nationale. »

Extrait: « Les informations qui arrivent à Madrid des services de renseignement affirment que le DRIL serait en train d’essayer d’implanter des foyers de guérilla sur le modèle cubain en Espagne et au Portugal. Velo est pourtant très réaliste quant aux possibilités d’affrontement armé avec les appareils policiers et militaires des deux régimes. Le directeur général du DRIL sait qu’il ne possède alors que de maigres effectifs et très peu d’armes. Il préfèrerait monter une armée régulière pour entrer à Madrid ou Lisbonne. Pour lui la créativité doit donner le ton, tant dans le processus insurrectionnel que dans le processus révolutionnaire. L’imagination et la surprise, éléments de base de la guerre de guérilla, seront désormais les armes du DRIL. Des armes que personnes ne pourra réquisitionner, si ce n’est par l’assassinat de ses dirigeants. Discrétion et confidentialité seront des objectifs clés pour la réussite de l’opération. En avril 1960, toujours selon Victor Velo, son père présente son projet à quelques uns des camarades espagnols les plus liés à la direction du DRIL. L’opération imaginée consisterait à détourner un navire de croisière vers les côtes africaines. Les commandos seraient débarqués en haute mer, à proximité de l’ile de Fernando Poo, alors colonie espagnole. Velo envisage de prendre la petite garnison de l’île et de réquisitionner les armes et le matériel s’y trouvant, comme des embarcations rapides, qui leur permettraient de gagner le continent. Le contact avec des gouvernements des ex-colonies africaines ayant obtenu leur indépendance permettrait de mener les troupes dans un de ces nouveaux pays qui serviraient alors de base pour continuer la lutte. »

Extrait: « Cette nuit, avant d’accepter officiellement l’offre de Jânio Quadros, encerclé par les navires de guerre et de temps à autre survolé par les avions nord-américains, le DRIL offre une fête aux passagers. Les salons sont décorés comme s’il s’agissait d’un dîner de gala: toutes les lumières sont allumées, des bouquets de fleurs et les drapeaux du Portugal, de la république d’Espagne, ainsi que ceux des convives ornent chaque table. Les trois commandants et leurs adjudants, Rojo et Urbano, sont à la table présidentielle. L’orchestre égaye la soirée, arrosée des meilleurs vins de la cave. Au moment du dessert de nombreux passagers s’approchent de la table présidentielle pour souhaiter bonne chance et demander des autographes. La fête continue avec un bal et le champagne coule à flot jusqu’au petit matin. Sotomayor renforce la garde et ordonne aux membres d’équipage portugais de rester dans leur cabine. »

Extrait: « Au Brésil, les premiers jours après le détournement sont d’une intense activité pour les drilistes. Les autorités de Recife ont mis une caserne de l’armée à leur disposition. Ils y logent et y reçoivent une multitude de visites: étudiants, sympathisants, intellectuels, politiciens et journalistes. Pepe Velo, avec la collaboration des journalistes du DRIL Miguel Urbano Rodrigues et Victor Cunha Rego, organise des rencontres avec les médias et des conférences dans les universités afin de récolter des fonds pour le mouvement. Le DRIL publie un communiqué officiel dans lequel il remercie le gouvernement brésilien de lui avoir accordé l’asile politique et se revendique de nouveau comme un mouvement révolutionnaire et démocratique, au dessus des idéologies partisanes, composé d’Espagnols et de Portugais en lutte contre les dictatures de Franco et Salazar. (…) Le DRIL tente de se réorienter et de poursuivre son activité politique, mais la situation n’est pas aisé: il ne possède pratiquement aucune ressource et ses membres sont surveillés de près. Rapidement de sérieux différends les opposent, provoquant une désintégration progressive puis la disparition définitive du mouvement. Les raisons en sont facilement imaginables: il n’existe aucune unité idéologique au sein du DRIL, à l’inverse des organisations traditionnelles, et différentes sensibilités aux origines opposées s’y côtoient. »

Extrait: « Entre 1962 et 1964 se livre sur tous les fronts une des batailles clandestines les plus importantes contre la dictature depuis la guerre civile. Elle ébranle la stabilité et la crédibilité interne du régime et fragilise sont prestige international. La répercussion internationale des actions menées contre Franco ainsi que la cruauté de la répression qui les suivra systématiquement engendreront des pressions externes obligeant le franquisme à se modérer et à travailler encore son image, surtout à partir de 1964. »