CONTRE-CULTURE(S) DES ANONYMOUS A PROMÉTHÉE

[Révoltes] Extraits du livre de Steven Jezo Vannier (LeMotetLeReste 2016)

CONTRE-CULTURE(S) – DES ANONYMOUS A PROMÉTHÉE

contreculturesExtrait (p.75): « Le hacking et la cyber contre-culture qu’il représente se placent dans la continuité « éthique » des mouvements de dissidence de la seconde moitié du XXe siècle. Dès les années quatre-vingt-dix, certains hackers manifestent leurs affinités avec la subculture des free parties. Le rapprochement est favorisé par une communauté de valeurs, qu’ils partagent par ailleurs avec les punks des seventies et la subversion « hippie » des années soixante. Ces différents mouvements sont transcendés par le refus de la norme, les aspirations utopiques, la volonté de concrétiser l’idéal au présent, d’inventer un substitut au système dominant, fondé sur la liberté, l’égalité et l’individualité. Des accents libertaires se démarquent nettement, ils définissent les principes de l’alternative. Tous ces mouvements se reconnaissent une même attirance pour les marges et les milieux underground, territoires socio-géographiques propices aux TAZs. »

Extrait (p.113): « Pour les diggers, la mort de l’argent doit permettre la naissance du Haight, autrement dit de l’utopie du free. En opposition aux festivals commerciaux qui se multiplient sous la fausse étiquette de la paix, de la musique et de l’amour libre, les diggers organisent leurs propres soirées et multiplient les tracts mettant en garde les idéalistes du quartier contre la menace de la récupération, la manipulation des médias et la caricature qui est faite d’eux. L’image stéréotypée du hippie devient la cible privilégiée des digger papers, qui encouragent les lecteurs à rester eux-mêmes et ne pas se laisser enfermer dans les petites boites catégorisées et soigneusement étiquetées de la société. »

Extrait (p.150): « Isidore Isou jette les fondations du lettrisme qui s’applique à faire naître une poésie universelle, libérée des barrières du langage et s’adressant au plus grand nombre. Il opère une déconstruction totale qui aboutit à la perte des signifiants; le sens des mots s’efface, les mots eux-mêmes disparaissent. La composition lettriste est graphique et musicale, elle se concentre sur les sons plutôt que sur le sens, utilisant par exemple l’onomatopée ou la sonorité d’une syllabe, quitte à ce que le poème ne signifie rien. Isidore Isou évince le contenu pour célébrer le contenant. (…) Isidore Isou se débarrasse de la narration, qu’il perçoit comme une limite au potentiel artistique de la forme. Le lettrisme privilégie la lettre et le sigle au mot, la graphie à l’orthographe et la grammaire. »

Extrait (p.205):  » Les Etats Unis attirent également le Français Etienne Cabet. Républicain farouche, il fuit la prison en 1834 et choisit de s’exiler en Angleterre, où il se familiarise avec les idées communisantes qui anime la gauche anglaise, notamment avec les théories de Robert Owen. Il en tire un ouvrage, Voyage en Icarie, dans lequel il expose sa vision de la cité idéale. Icaria est une communauté démocratique se revendiquant d’un « communisme primitif », semblable à celui des premiers chrétiens. La propriété privée, la concentration des pouvoirs et l’argent n’existent pas, la nourriture et les biens sont fabriqués grâce à l’industrie et à la mécanisation des moyens de production. Ils sont distribués gratuitement, selon les besoins aux icariens qui en font demande. Dans son récit, Cabet imagine que son régime communiste est le prolongement d’un système démocratique transitoire, faisant suite au renversement d’une dictature. Cabet partage quelques points de vue avec la tradition anarchiste naissante, dont l’idée que chacun doit s’investir en fonction de ses capacités et recevoir de la société en fonction de ses besoins. »

Extrait (p.236):  » Marcus Rediker évoque la société pirate sous le terme de « culture inversée », il s’agit effectivement d’une contre-culture qui se développe en réaction contre la norme et qui inverse l’ordre social traditionnel. la charte consacre cette inversion, elle garantit l’intérêt général et les droits de chaque pirate. En niant leur nationalité et en déclarant la guerre au monde entier, les pirates adhèrent à une nouvelle nation libertaire, dont les règles sont établies par le code. Il est différent pour chaque équipage, mais obéit toujours à la même logique: il divise les fonctions à bord avec l’établissement du rôle dans l’équipage (médecin, pilote, charpentier, maître-coq, canonniers, etc), partage le pouvoir entre tous, énonce les lois en vigueur sur le navire, précise le mode de partage du butin, de la nourriture et la gestion des stocks; enfin, il fixe les règles disciplinaires et les punitions en cas de violation du texte. Contre toutes les formes d’autorité dont ils étaient victimes, les marins décrètent l’établissement de la démocratie. La majorité des décisions importantes est prise par l’assemblée de tous les marins, parfois surnommée « commune ». »

Extrait (p.289): « Le mouvement de dissidence religieuse du milieu du XVIIe siècle rassemble de nombreuses et diverses tendances, toutes présentes dans les rangs de la New Model Army. Elles dérivent du protestantisme et apparaissent en marge, sinon en opposition à l’Eglise anglicane. Les courants sont variés, tendant tous au radicalisme, tant dans leur approche de la religion que dans leur mode de vie. La plupart vivent en communautés, certaines sous forme de sectes fermées. Les hommes de la Cinquième Monarchie sont convaincus de l’avènement imminent de Jésus, cinquième monarque du monde (après les Assyriens, les Perses, les Grecs et le Romains, son retour est prévu pour l’an 1666). ceux que l’on nomme les quintomonarchistes se préparent à devenir ses premiers disciples. Dans leur société pré-apocalyptique, ils reconnaissent l’égalité entre les hommes et les femmes jusque dans l’ascension à la prêtrise. Les adamites, résurgence d’un mouvement présent au début de l’ère chrétienne puis au XIIIe siècle, prônent un retour au mode de vie d’Adam dans le Jardin d’Eden. Ils pratiquent ainsi l’amour libre, refusent le travail et vivent nus. »

Extrait (p.414): « Aristophane est connu pour son conservatisme et sa sympathie à l’égard de l’aristocratie, il n’en est pas moins un fin satiriste et railleur de l’ordre athénien et des puissants. Avec finesse et humour, autant qu’avec mordant et frivolité, il tourne en ridicule et critique les démagogues, le peuple manipulé, les tyrans, les philosophes et leur idéalisme, les institutions, la justice et les mœurs. Sa liberté de ton. sa grossièreté et certaines prises de positions dans ses œuvres lui ont valu de vives critiques, le taxant d’immoralité et de débauche. (…) Aristophane joue des pouvoirs du théâtre, monde éminemment culturel, religieux et politique, qui autorise l’inversion et la moquerie. Il offre une utopie communiste, féministe et pacifiste qui fonctionne comme le reflet inversé de la culture athénienne. »