POTLATCH (1954-1957)

[Lettrisme – Situationnisme] Extrait du livre anthologie de Potlatch (Gallimard Folio 1996)

GUY DEBORD PRESENTE POTLATCH (1954-1957)

http://www.la-petroleuse.com/livres-situationnisme/4487-livre-guy-debord-presente-potlatch.html

Une anthologie d’articles parus dans les 29 numéros de Potlatch (bulletin de l’Internationale Lettriste) entre 1954 et 1957.

guy_debord_presente_potlatcExtrait (p.29): « Potlatch 4 juillet 1954 – On ne dira jamais assez que les revendications actuelles du syndicalisme sont condamnées à l’échec; moins par la division et la dépendance de ces organismes reconnus que par l’indigence des programmes. On ne dira jamais assez aux travailleurs exploités qu’il s’agit de leurs vies irremplaçables où tout pourrait être fait; qu’il s’agit de leurs plus belles années qui passent, sans aucune joie valable, sans même avoir pris des armes. Il ne faut pas demander que l’on assure ou que l’on élève le « minimum vital », mais que l’on renonce à maintenir les foules au minimum de la vie. Il ne faut pas demander seulement du pain, mais des jeux. (…) »

Extrait (p.37): « Potlatch 5 juillet 1954 – Dans cette époque de plus en plus placée, pour tous les domaines, sous le signe de la répression, il y a un homme particulièrement répugnant, nettement plus flic que la moyenne. Il construit des cellules unités d’habitations, il construit une capitale pour les Népalais, il construit des ghettos à la verticale, des morgues pour un temps qui en a bien l’usage, il construit des églises. Le protestant modulor, le Corbusier-Sing-Sing, le barbouilleur de croûtes néo-cubistes fait fonctionner la « machine à habiter » pour la plus grande gloire du Dieu qui a fait à son image les charognes et les corbusiers. On ne saurait jamais oublier que si l’Urbanisme moderne n’a encore jamais été un art – et d’autant moins un cadre de vie – il a par contre été toujours inspiré par les directives de la Police; et qu’après tout Hausmann ne nous a fait ces boulevards que pour commodément amener du canon. Mais aujourd’hui la prison devient l’habitation-modèle, et la morale chrétienne triomphe sans réplique, quand on s’avise que Le Corbusier ambitionne de supprimer la rue. Car il s’en flatte. Voilà bien le programme: la vie définitivement partagée en ilôts fermés, en sociétés surveillées; la fin des chances d’insurrection et de rencontres; la résignation automatique. (…)

Extrait (p.50): « Potlatch 7 août 1954 – Le vrai problème révolutionnaire est celui des loisirs. Les interdits économiques et leurs corollaires moraux seront de toute façon détruits et dépassés bientôt. L’organisation des loisirs, l’organisation de la liberté d’une foule, un peu moins astreinte au travail continu, est déjà une nécessité pour l’Etat capitaliste comme pour ses successeurs marxistes. Partout on s’est borné à l’abrutissement obligatoire des stades ou des programmes télévisés. C’est surtout à ce propos que nous devons dénoncer la condition immorale que l’on nous impose, l’état de misère. (…) Une seule entreprise nous parait digne de considération: c’est la mise au point d’un divertissement intégral. L’aventurier est celui qui fait arriver les aventures, plus que celui à qui les aventures arrivent. La construction de situations sera la réalisation continue d’un grand jeu délibérément choisi; le passage de l’un à l’autre de ces décors et de ces conflits dont les personnages d’une tragédie mouraient en vingt-quatre heures. Mais le temps de vivre ne manquera plus. »

Extrait (p.98): « Potlatch 15 décembre 1954 – Les lettristes suisses qui s’étaient manifestés en octobre et novembre dans leur pays doivent être considérés comme de purs et simples provocateurs. Notre rupture avec eux a fait l’objet d’une note en date du 7 décembre diffusée à l’intérieur de l’Internationale lettristre, et auprès de quelques amis étrangers. »

Extrait (p.155): « Potlatch 20 ai 1955 – Le tract « Construisez vous-mêmes une petite situation sans avenir » est actuellement apposé sur les murs de Paris, principalement dans les lieux psychogéographiquement favorables. Ceux de nos correspondants qui auront pris plaisir à coller ce tract peuvent en réclamer d’autres à la rédaction de Potlatch »

Extrait (p.199): « Potlatch 23 octobre 1955 – Une réunion lettriste en date du 20 septembre a décidé d’établir par plans et maquettes le modèle d’une « maison qui fait peur ». Le thème de cet exercice souligne suffisamment qu’il ne s’agit pas d’aboutir à une quelconque harmonie visuelle. Il est à noter cependant que si cette maison est étudiée volontairement en fonction d’un sentiment simple, sa conception devra tenir compte des nuances affectives convenant aux multiples situations qui peuvent réclamer un cadre effrayant. »

Extrait (p.245): « Potlatch 26 – mai 1956 – (…) La vérité est qu’en août 1956 il était déjà trop tard pour imposer une vision cohérente de ces arts modernes fondés sur le recommencement des expériences passées. La période de réaction de l’après guerre est en train de finir. Il était même trop tard pour ramasser les lauriers civiques d’anciens combattants d’une avant-garde devenue inoffensive. Celle-ci n’avait jamais été offensive, et cela commence à se savoir. Et surtout, cette période s’est caractérisé fondamentalement par des redites anarchiques et fragmentaires. Il était donc imprudent d’étendre l’entreprise – en partant simplement du choix d’un décor « moderne » pour un festival de théâtre, parent pauvre de celui d’Avignon; en aboutissant à une annexion hâtive de la peinture ou du cinéma – jusqu’au spectacle d’une unité qui n’a jamais existé. Sa seule possibilité d’existence est dans la révolution unitaire qui commence.

Extrait (p.290): « Potlatch 30 – juillet 1959 – Etant conscients de ce que les loisirs à venir, et les nouvelles situations que nous commençons à construire, doivent profondément changer l’idée de fonction qui est au départ d’une étude urbaniste, nous pouvons déjà élargir notre connaissance du problème par l’expérimentation de certains phénomènes liés à l’ambiance urbaine: l’animation d’une rue quelconque, l’effet psychologique de diverses surfaces et constructions, le changement rapide de l’aspect d’un espace par des éléments éphémères, la rapidité avec laquelle l’ambiance des endroits change, et les variations possibles dans l’ambiance générale de divers quartiers. La dérive, telle que la pratiquent les situationnistes, est un moyen efficace pour étudier ces phénomènes dans les villes existantes, et pour en tirer des conclusions provisoires. La notion psychogéographique ainsi obtenue a déjà mené à la création de plans et de maquettes d’un type imaginiste, qu’on peut appeler la science-fiction de l’architecture. »