[Livre] TIKI POP: LE PARADIS AMÉRICAIN IMAGINAIRE

TIKI POP – Sven A. Kirsten (Taschen 2014)

tiki_popEXTRAIT: « Au XXe siècle, les Américains se sont pris d’une profonde affection pour les îles hawaiiennes. Pétris de littérature populaire, de musique et de cinéma hollywoodien, les continentaux ont élaboré une vision romancée de la Polynésie qui délaissait les réalités complexes de la culture autochtone au profit d’une île de la fantaisie largement idéalisée. Vers le milieu des années 1950, la figure de Tiki est devenue une icône de la culture pop, incarnant cette nostalgie américaine d’un paradis terrestre. (…) Dans la culture pop américaine, Tiki a été quelque peu simplifié. Les restaurants tiki vantaient la puissance d’un personnage plutôt bachique, associé à la bonne chère et à la chance, une image en parfaite adéquation avec ce qu’ils offraient au public américain. Les clients voyaient donc en Tiki le symbole des plaisirs païens que réprouvait l’Amérique au lendemain de la Seconde guerre mondiale. »

EXTRAIT: « La doctrine chrétienne sur l’expulsion de l’Homme du paradis avait enraciné en Europe occidentale la notion d’une perte liée à la civilisation et d’une séparation de l’Homme de sa véritable condition. Lorsque les premiers explorateurs européens ont découvert les Océaniens vivant en harmonie avec la nature, libérés des lourds vêtements grâce à la douceur du climat, ils en ont conclu que « l’état originel » n’avait somme toute pas été perdu. Voilà un peuple qui pouvait profiter des bienfaits de la nature sans trop d’effort: il était heureux, sain et beau. »

EXTRAIT:  » Au début du XXe siècle, les récits se jouant dans les mers du Sud sont devenus un genre littéraire à part entière. Cet engouement est en grande partie imputable à deux écrivains célèbres dont les récits d’aventure et d’exploration fascinèrent le public américain: Robert Louis Stevenson et Jack London. »

EXTRAIT: « Tandis que la littérature populaire se charge d’entretenir les fantasmes exotiques du public, une autre forme de divertissement insulaire, bien moins intellectuelle, déchaîne bientôt les passions. La musique hawaiienne ondule jusqu’au cœur des Américains, entraînant dans son sillage tout un catalogue de concepts pop qui viennent étoffer le mythe du paradis polynésien. (…) Ce qui n’était dans les années 1910 qu’un genre musical en apparence anecdotique s’amusant avec les sonorités chantantes de la langue hawaiienne devient une catégorie de divertissement à part entière dans les années 1940, où de nombreux films intègrent des scènes de danses hautes en couleur sur ces tempos si reconnaissables. (…) L’industrie de la radio et du disque, alors en plein essor, ne tarde pas à satisfaire la curiosité du public, au point qu’un quart des disques produits en Amérique dans les années 1920 se classe dans la catégorie hawaiienne. »

EXTRAIT:  » Pendant ce temps, aux États-Unis, la presse continue de véhiculer les clichés des mers du Sud comme si rien n’avait changé: des insulaires sympathiques et des vahinés magnifiques à foison, la vie était une plage, le bonheur possible. Lorsque les vétérans secoués par les affres du combat rentrent au pays, personne n’a envie d’entendre leurs histoires de corps sanguinolents et de membres arrachés. Impatients de revenir à une vie normale, les soldats eux-mêmes font tout pour oublier les horreurs qu’ils ont vécues. Avec une mémoire volontairement sélective, ils embellissent leur « aventure exotique », en narrent les aspects humoristiques, et participent ainsi à cette mythologie assimilée par la culture populaire. »

EXTRAIT: « Avec la popularité du Kon-Tiki, le mot « tiki » devient courant en Amérique. En Polynésie, Heterdahl a vécu dans une hutte primitive, et ce modèle de construction minimaliste est utilisé pour concevoir les logements les plus modernes. Le radeau donne bientôt son nom à des restaurants, à des hôtels et à des immeubles d’appartements d’inspiration polynésienne. »

EXTRAIT: « Face au succès de la chaîne Trader Vic’s, plusieurs restaurants vont s’en inspirer. Ils illustrent leurs menus et d’autres articles promotionnels de clones de l’insigne tiki du Vic’s, espérant sans doute que la manne déteindra sur eux. Cette façon de plagier la concurrence fait partie intégrante de la culture tiki pop. Elle doit être vue comme une sorte de pollinisation croisée, qui a participé à l’expansion du phénomène tiki. »

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