ZINOBIUM PERTINAX 1 – LA BIBLI A BIBI

Voilà un texte écrit par mézigue pour le fanzine ZINOBIUM PERTINAX 1 sorti en 2021 pour lequel Delphine, la dirlo des Editions de la Dernière Chance, m’avait proposé de participer (avec 15 autres auteurs et illustrateurs) en recevant ce mail:

« Je suis entourée de gens qui lisent beaucoup. Et qui, comme tous grands lecteurs, vouent un culte aux livres et à la littérature. Si vous recevez ce message, c’est que vous faites partie de ces personnes qui participent à mon obsession littéraire.
J’aimerais que vous m’écriviez un texte, qui sera publié dans mon prochain zine, pour parler, justement, de livres. Mais SANS chronique… Racontez-moi une anecdote, une histoire d’amour en librairie, une lubie sur un écrivain, une aventure en bibliothèque, un souvenir de lecture, un aveu de complétiste, un besoin viscéral de posséder, un rangement inattendu de bibliothèque, une pile à lire honteuse, une névrose de marque-page… Comme on l’a très probablement déjà fait de vive-voix, parlez moi de votre passion, mettez-y vos tripes, parlez avec le cœur. Allez où bon vous semble, laissez-vous guider par les pages, un seul sujet : LIVRE, LECTURE, PASSION. Vous avez dix mille signes. »

LA BIBLI A BIBI

par Mat Petrolo (Janvier 2021)

Quand la taulière des éditions de la Dernière Chance m’a proposé de participer à ce projet pour y causer « livre, lecture, littérature », j’ai dit banco. Illico. Sans hésiter. Un « fanzine littéraire sans chroniques de livres », voilà une idée qu’elle était bath ! Je déteste lire des chroniques de livres. D’ailleurs je ne les lis pas. Quoi de plus barbant que la lecture de chroniques de livres ? Rien. A part peut être la lecture de chroniques de disques. Il arrive que le chef chroniqueur ait assez de style pour faire passer la pilule. Mais même dans ce cas (très rare), la succession-répétition ad nauseam de sa prose érudite finira inéluctablement par te faire mourir d’ennui. Si ce n’est carrément, dans certain cas désespérés (ou désespérants), te pousser au suicide. N’y voyez là aucune volonté d’être à tout prix excessif ou gratuitement outrancier. Juste que j’abomine lire ces pu-tains-de-chro-ni-ques de livres ou de disques. C’est donc extrêmement emballé par cette idée éditoriale inhabituelle et excitante que je me suis engagé à exécuter ma future mission. Comme le troufion lambda qui part au baston la fleur au fusil (pauvre couillon) je me sentais tout à fait confiant et insouciant. J’avais dû me dire, dans un moment d’égarement mégalo, que ça serait dans mes cordes. Que « livre, lecture, littérature » c’était plutôt mon rayon. Que j’allais torcher ça vite fait bien fait. Comme le troufion lambda qui part au baston la fleur au fusil (pauvre couillon) j’ai rapido déchanté en me retrouvant face à l’ennemi. En l’occurrence ma feuille blanche. Car c’était vite oublié que j’avais pas écrit depuis un bail autre chose que ma liste de course. Avec pour seul bagage ce talent d’écriture ménager, intéressant mais limité, pondre les 10000 signes exigés allait nécessairement se faire dans la douleur. Besogneusement. Et me prendre perpète. La deadline (déjà repoussée deux fois) se rapprochait fissa. Le couteau sous la gorge, je prenais mon courage à deux mains pour faire face à ma maousse inclination à la procrastination et organisais enfin un brainstorming avec moi-même. Car avant de commencer à balancer au hasard des mots en l’air avec l’espoir qu’ils retombent là où il faut, il fallait d’abord trouver un sujet. Un truc ayant un vague rapport avec la consigne édictée par la maîtresse de cérémonie.

Farouche partisan du moindre effort, je ne me ruinais pas les neurones bien longtemps. Mon sujet je l’avais sous le nez : ma Bibliothèque. Pour « parler de livres, lecture, littérature » c’était pas si con. Pas franchement original non plus, je vous le concède. Mais personne a dit qu’il fallait faire à tout prix dans le fantasque, le farfelu, le bizarre, le cocasse. Et puis je l’aime vraiment ma Bibliothèque. Elle ressemble pas à grand-chose la pauvre. Mais je l’aime. De l’extérieure, elle est cheap et un peu branlante. Elle a pas franchement la tronche du dernier modèle design. Sûr que les deux meubles moches et dépareillés qui la constituent sont pas de la première jeunesse. En provenance d’Emmaüs, ils ont déjà vécu une vie (sinon deux ou trois) avant de me connaître. Et dedans, c’est franchement le chaos. Quelques centaines de livres aux gabarits disparates dégueulent littéralement des étagères. Depuis pas mal de temps déjà. Et ça empire d’année en année. Malgré des choix de plus en plus exigeants. Y glisser les nouveaux arrivants ressemble à une partie de Tetris perdue d’avance. Ça s’empile dans tous les sens là où ça veut bien. Et même là où ça ne veut plus. En forçant si nécessaire. Une vraie indigestion. A deux doigts de la maltraitance. Et au-dessus c’est pas mieux. Les multiples rangées de piles bringuebalantes érigées vers le plafond ont atteint une hauteur maximum avant le casse gueule fatal. Je soupçonne d’ailleurs que deux ou trois ouvrages aient déjà fait les frais de cet équilibre précaire en disparaissant corps et âmes entre le mur et la bibliothèque. Je ne saurais dire lesquels malheureusement. Il n’y a évidemment plus depuis longtemps de rangement réfléchi ou de logique de classement. Retrouver un bouquin tient plus du miracle que de la science Dewey. Aucun ordre. Ni par genre, ni par nom, ni par taille (celui qui me parle de les classer par couleur s’en prend une !). Vous l’avez pigé, avec le temps les livres ont pris pas mal de place dans ma vie. Et pas qu’au figuré donc. Je pourrais jacter des heures de tous ces livres à qui j’ai donné asile dans ma Bibliothèque. Mais ça serait sûrement aussi intéressant que de lire une page entière de pu-tains-de-chro-ni-ques de livres. Et je ne tiens aucunement à vous pousser au suicide. Ce que je peux dire simplement, c’est que je ne fais pas dans la discrimination de formats (même si rapport à la crise du logement, le Poche a de plus en plus mes faveurs) et que mes intérêts de lecture sont éclectiques. J’ai quelques marottes évidemment (dont une ou deux sont vaguement honteuses et inavouables) mais pas franchement d’obsessions thématiques. N’ayant aucun critères préconçus, les candidats livres sont donc légions.

Me séparer de cette bonne vieille bibliothèque pleine à ras bords serait un crève cœur. Je suis du genre sentimental. Mais je mentirais si je disais que je n’avais jamais pensé à la remplacer ; la troquer contre une nouvelle, belle, grande et sur mesure, sentant encore bon les essences de la forêt, la colle à bois et la cire d’abeille. Et, luxe suprême, des rayonnages qui seraient vides pour quelques temps encore ! En attendant ce jour improbable, un désherbage, même léger, permettrait de prolonger un peu notre destin commun. Mais suis je capable de me débarrasser d’un seul livre ? J’ai bien peur que non. En jargon bibliothécaire, le désherbage c’est éliminer les livres qu’on ne veut plus. Cette analogie jardinière m’a toujours bottée, peut être parce que j’aime presque autant mon potager que ma bibliothèque. La première fois que j’esgourdai cette expression, je bossais en B.U. Il y a (pas si) longtemps. Quasi dans une autre vie (quand même). Une vie où on pouvait aller (par exemple) dans des bars avaler des hectolitres de bière tout en fumant cibiche sur cibiche. Des bars où on écoutait, plongé dans un nuage de nicotine et de goudron, des concerts de rock à plus de 105 décibels sans même craindre une descente de flics (ni même d’organes, on était jeunes). Des bars où, accroché jusqu’à plus d’heure au zinc comme des moules à leur rocher, on se crachotait gaiement au visage (pour vous dire que c’était dans une autre vie !) entre partenaires sourdingues de comptoir dans d’interminables et vaines tentatives de conversations. Je vais pas vous la faire « c’était mieux avant » en mode vieux ringard nostalgique qui commence à radoter. Mais quand même. Au tournant du millénaire, le scénar du film s’est mis à déconner sévère et on s’est retrouvé embringué dans un nanar apocalyptique vraiment merdique. A cette époque lointaine donc, où le réchauffement climatique ne tuait pas encore autant qu’Al Qaïda (ou l’inverse je ne sais plus), j’étais en Contrat Emploi Solidarité. Un emploi aidé à durée déterminée. J’avais 25 piges bien tassé, fini mes études bac + glandouille, rempli mes obligations nationales et aucune idée de ce que j’allai bien pouvoir faire du reste de ma vie. Paraît qu’il était temps de devenir adulte. Qu’il fallait gagner sa croûte. Travailler quoi. N’ayant jamais eu tellement d’ambition dans ce domaine, j’étais prêt à tout pour y échapper. Et ne pas vouloir bosser, c’est un boulot parfois éreintant. Dans l’ensemble je m’en suis pas mal sorti. Le dilettantisme a toujours eu mes faveurs. En attendant de trouver ma future (enchanteresse) voie et dans l’espoir que mon assistante sociale me lâche à la fois mon RMI et les pompes, je zigzaguais (à l’occasion) entre un contrat en intérim et une formation en informatique. Poser de l’enrobé sur la route c’est rigolo, à condition de ne pas revenir en semaine 2. Se former à la PAO eut été aussi très amusant s’il n’y avait eu ces cauchemardesques stages en entreprises compris dans le package. Le bon côté de la chose c’est que ces expériences (aussi modestes soient elles) me décidèrent une fois pour toute à fuir le salariat. Je passais quand même un ultime deal avec l’ANPE (le dernier de ma vie donc) et me retrouvais dans cette Bibliothèque universitaire à toucher des indemnités de misère qui n’ouvraient droit ni à la retraite (je m’était déjà fait une raison à ce sujet depuis longtemps) ni au chomdu (dommage). Un statut de stagiaire, de précaire, de sous travailleur, de sous-homme. En contrepartie, c’était pas la charge de boulot qui allait me tuer. Pour sûr, l’ambiance était pas violente. Tellement coolos et à deux à l’heure que ça sentait l’ennui et la dépression à tous les étages. Des magasiniers (dont je faisais parti) aux conservateurs, tout le monde avait le même tempo moribond. Même si cette expérience fut déjà trop longue à mon goût (un an quand même ! bien heureusement à mi-temps) j’en garde bizarrement un assez bon souvenir. Peut être le meilleur de ma courte vie de salarié. Se promener seul en musardant, le nez dans les livres, au milieu des interminables rayons de l’entrepôt-réserve grand comme un hypermarché, c’était assez plaisant. Contractuellement obligé de suivre une formation en mode insertion (j’ai été beaucoup inséré dans ma vie) histoire de justifier le pognon lâché par l’État, je me suis retrouvé à mon corps défendant à passer le concours de Bibliothécaire. Gâchons tout de suite le suspense : je ne l’ai pas eu. Ouf ! Vous le devinez, j’ai bien été soulagé de cet échec cinglant. L’histoire s’était pourtant mal engagée : j’avais obtenu les écrits avec une déconcertante facilité. J’avais conséquemment été expédié pour une longue journée d’oraux à Bordeaux où je m’étais retrouvé bien esseulé au milieu d’une soixantaine de gonzesses, genre premières de la classe (ou qui auraient bien voulu l’être un jour), toutes farouchement prêtes à la compétition. Ce qui n’était pas mon cas. Je les laissais donc bien volontiers et sans rancune à leurs morbides rivalités. On pouvait s’en douter : l’ambiance n’était pas très punky. Que des tronches très ordinaires de citoyen-nes très moyen-nes à la recherche d’une situation alimentaire. De bonnes têtes de profs des écoles (pardon maman). Je les soupçonnais d’ailleurs d’avoir foiré leur entrée à l’IUFM pour se retrouver là en pur désespoir. En cas de nouvel échec, se retrouveraient elles probablement à passer un concours des Impôts. Je l’avoue, mes remembrances de cette tragique journée sont aussi rares qu’impressionnistes. Peut être même très déformées. Seuls quelques souvenirs plus précis ont vaguement résisté au temps. Comme l’oral d’english, because of un article scientifique sur le DNA auquel j’avais rien understoodé. J’avais donc été very incapable d’exprimer all mes talents d’anglophone niveau collège. Too bad ! La wannabe bibliothécaire qui me précédait avait quant à elle tiré un texte sur ETA (auquel elle n’avait rien pané non plus) qui aurait quand même mieux fait mes affaires, plus intéressé que j’étais à l’époque par la lutte en Euzkadi que par la science génétique. J’en avais fait ni un cake ni une jaunisse, candidat jean-foutre que j’étais. Puis le Grand Jury Final dont l’interrogatoire façon maison poulaga avait achevé d’une pierre deux coups cette longue journée et ma prometteuse carrière de fonctionnaire. « Pourquoi voulez vous être bibliothécaire ? » N’ayant pas eu le courage de leur répondre avec panache que ce serait probablement plus bonnard que de couler, qu’il gèle ou qu’il canicule, de l’enrobé bouillant sur mes pieds jusqu’à ce que mort s’en suive, ma répartie bateau sur l’apport de la culture gratuite au populo n’avait pas sembler les exciter. Je les comprends. Quant à la question subsidiaire et rédhibitoire à 1000 francs (oui je vous l’ai dit, c’était il y a longtemps) : « Pouvez vous nous nommer un auteur argentin ? » elle m’avait tellement scotché, que plutôt que d’inventer au tac au tac et avec aplomb le blase imaginaire d’un écrivain danseur de tango (je regrette là aussi de n’en avoir pas eu l’audace), je suis resté la bouche ouverte d’ignorance, comme le dernier des Chti vs les Marseillais. Mon inculture et la caisse qu’ils m’ont collé à la fin m’a sauvé la vie. Merci à eux. Je n’avais aucune envie de finir comme ces ronds-de-cuir-zombis. Pas plus que de me retrouver à Tataouine dans une médiathèque de 3e catégorie.

J’ai mûrement réfléchi. Oui, ça m’arrive. Surtout quand il s’agit d’une chose aussi importante que cette histoire de désherbage. Il m’a fallu un peu de temps (et j’en ai largement eu assez durant cette longue divagation narrant ma vie de bibliothécaire fumiste) mais la conclusion est sans appel : il m’est assurément impossible de me séparer d’un seul livre ! Chacun d’eux a rejoint ma Bibliothèque pour une bonne raison. Tant pis si cette bonne raison a été oubliée depuis longtemps. Ils sont là et ils sont tous un peu de moi. Alors désherber ma Bibliothèque ? Que dalle ! Macache ! Peau de zob ! En attendant la très hypothétique construction d’une plus grande bibliothèque, les piles de livres vont continuer à pousser n’importe comment au pied de l’ancienne, façon champignonnière sauvage. Il y a des lecteurs (paraît-il) qui ne gardent aucun livres ; qui s’en débarrassent à peine la dernière ligne terminée. Quelle bizarrerie ! Et je ne vous cause même pas de l’aberration de lire des livres électroniques sur une liseuse. Pourquoi pas non plus écouter de la musique que sur Deezer, sans jamais toucher, zieuter, renifler la belle pochette de la galette qui révolutionne sur la platine ?! A quoi bon cette seule jouissance immédiate et furtive ? Sans attente. Sans jeux préliminaires. Sans tripotage. Sans plaisirs sensuels avec l’objet. Je suis un bibliomane, un fétichiste et un accumulateur et je ne suis pas prêt à abandonner un seul de mes chers trésors.

J’ai finalement rendu ma copie avant la deadline. L’accouchement a été long. Et parfois douloureux. Comme prévu, mon « talent d’écriture ménager » a été mis à rude épreuve. J’ai beaucoup digressé, radoté, zigzagué. Sans savoir si j’étais (même vaguement) dans les clous de la thématique attendue. Je vous ai raconté beaucoup. Souvent n’importe quoi. Et pourtant je ne vous ai pas encore tout dit sur mes livres et ma Bibliothèque. Si la camarade-commissaire des éditions de la Dernière Chance m’offre de revenir un jour pour jaspiner « livres, lecture, littérature », je vous entretiendrais alors de chinage, de seconde main, de collectionnite et de dérives urbaines et rurales chez les bouquinistes et vide-greniers. Peut être.