LES AMAZONES DE LA TERREUR
Fanny Bugnon
[Révolutions - Femmes - Années 60-80]
Sur la violence politique des femmes, de la Fraction Armée rouge à Action directe
Durant le dernier tiers du XXe siècle, de nombreuses femmes rejoignirent les rangs d’organisations politiques violentes comme la Fraction armée rouge allemande, les Brigades rouges italiennes ou Action directe en France. Certaines tuèrent. Les médias surpris de cette violence féminine les appelèrent "amazones de la terreur" et créèrent pour elles une nouvelle catégorie, celle de la "femme terroriste". Dans ce livre pionnier, croisant les mutations du militantisme de l’après-68 et l’essor de la deuxième vague féministe, Fanny Bugnon propose une réflexion de fond sur le sujet encore tabou de la violence politique des femmes et une étude sur les mouvements révolutionnaires radicaux qui offre des résonances très actuelles, en particulier avec l’engagement des femmes dans les attentats sur tous les fronts.
EXTRAIT (Introduction): Prises dans un double mécanisme de mise en silence de leur parole et de saturation du discours à leur encontre, ces « femmes terroristes » se trouvent alors confrontées à des tensions, des interférences qui troublent la possibilité de penser la violence politique des femmes. Trois hypothèses principales peuvent être avancées pour comprendre cette difficulté non seulement à voir, mais aussi à penser ce phénomène, aussi bien à l’époque où ces groupes révolutionnaires armés ont été actifs que dans les travaux de sciences sociales sur ces mêmes groupes : une réalité sociale archi-dominée par les violences masculines contre les femmes qui tend à considérer ces dernières dans l’unique position de victimes ; les définitions pénales de la violence qui ne prennent pas toujours en compte la multiplicité de ses formes ; et le faible recensement des faits de violence féminine qui peuvent parfois faire l’objet d’une requalification et d’une certaine mansuétude pénale. À rebours de l’économie générale de la violence, l’implication importante et visible de femmes dans les organisations révolutionnaires armées, loin de passer inaperçue, interpelle, étonne, ou effraie. Alors, quels outils pour penser ce qui, à la différence de la violence des hommes, apparaît comme une énigme sociale ? En premier lieu, le genre, parce qu’il permet de penser, ensemble et de manière sexuée, la normativité et les mécanismes de régulation sociale, l’évolution des normes et leurs permanences à travers le temps, et donc les dissonances. Surdéterminés par une kyrielle de représentations adossées à des discours de (re)mise en ordre des sexes, les regards sur la violence politique des femmes sont marqués en effet par une hypertrophie tenace qui tend à noyer ces actrices de l’histoire dans un double océan de discours et de silence. Cette tension entre surexposition et omission, entre ombre et lumière, s’explique par le système de valeurs dans lequel la violence politique et la violence des femmes sont prises. Les actrices de la violence révolutionnaire se heurtent ainsi à des catégories qui les dépassent et qui agissent comme autant de stigmates.
Payot (2015) 240 p. 16 x 24 cm